De mémoire de Beaubecois (et certains sont carrément nés là...), on n'avait jamais vu ça. JAMAIS. Car non seulement les ruisseaux ont débordé (ils le font une ou deux fois par an), mais l'eau a envahi TOUT le chemin, a commencé à monter le long des palplanches, et, prenant toujours plus de vitesse et de force, a charrié un maximum de terre glaiseuse dans le goulet, façon canyon...
Bon, le grand parapluie sur ma tête et retirée sur la hauteur, j'aurais pu me contenter du spectacle, hier au soir vers vingt heures, car c'en était un, dans le genre - mais je voyais le front de Clopin s'assombrir de rides, et puis nous avons pensé au voisin, celui qui loge juste dans le creux : le temps d'aller voir, en marchant comme un canard, si tout allait bien, et puis de revenir avec lui - Clopin avait de l'eau jusque par-dessus les bottes, et la pression de l'eau ne semblait pas réduire du tout : je commençais à comprendre que l'inondation certes n'allait pas atteindre la grande maison, juchée tout là-haut, mais risquait cependant d'avoir quelques conséquences gênantes.
Déjà, la grande barrière de bois était emportée, et ne tenait plus que par miracle au poteau. Impossible de voir ce qui se tramait là-dessous : les berges des talus allaient-elles tenir le coup ? Les palplanches suffiraient-elles, si l'eau provoquait un glissement de terrain, à protéger le chemin ?
Ce matin, la liste des dégâts peut être dressée : les palplanches ont tenu le coup, le talus de la grande route est en place. De même, le talus du pré semble intact : les racines des arbres ont retenu la terre, et seules les herbes ont une drôle de tronche, toutes penchées d'un côté comme des posidonites figées. Mais par contre, côté goudron, à quatre ou cinq reprises, la berge du talus s'est effondrée, charriant sa terre et ses cailloux dans l'eau. Si le chemin semble indemne, je ne jurerais par qu'il ne va pas s'écrouler, miné par en-dessous. On va dire que c'est un peu embêtant... En attendant les avis autorisés...
Quant au jardin potager, celui qui, s'étalant devant la maison, accueille les visiteurs comme une déclaration, eh bien, comment expliquer ? Ce matin, on dirait une rizière, voilà. Et encore : une rizière qui aurait servi de champ de bataille. Les premiers à être tombés au champ d'honneur sont les rangs d'ail, et d'oignon, dont les tiges, écrasées à terre, ne pourront pas s'en relever. Mais les troupes de petits pois, de pommes de terre ont bien souffert aussi. Quant aux gais petits fantômes de tissu blanc qui encapuchonnaient, pour les protéger, les plants de tomate, leur blancheur en a pris un sacré coup. Certes, ils ne risquent plus de s'envoler par-dessus les haies, lestés qu'ils sont d'une gangue de glaise... Et dire que cette année, à cause de la météo, nous n'avons pas goûté la plus petite cerise, qu'il n'y aura certes pas assez de pommes pour faire du cidre et que le renard nous a boulotté nos meilleures poules... Fallait-il en plus tenter de noyer nos légumes ?
On ne peut s'empêcher de frissonner, devant de telles manifestations de forces "naturelles", et de se sentir aussi petit que notre stupide prétention, à nous les humains, à contrôler le monde est grande. Et puis nous nous regardons, Clopin et moi, comme étonnés de ce que cette année - commencée sous le signe du départ de Papy à l'hôpital, poursuivie par le long calvaire d'une brebis, complétée par une certaine insécurité financière et professionnelle, couronnée par les "exploits" du Clopinou et désormais marquée par une défaite genre Waterl'eau, - nous a déjà réservé, et de ce qui risque de nous attendre encore...
Je vous le dis : les rides du front de Clopin ne risquent pas de s'éclaircir de sitôt, boljemoÏ.