L'amour que nous portons à notre gros bâtard de chien ne peut nous dissimuler la triste réalité : nous l'avions choisi à cause du côté "border colley" de son pedigree, qui semblait lui garantir, comme à son prédécesseur le Vaillant Julot, un tempérament de gardien de troupeau, attaché à sa maison et à son clos.... Hélas. Est-ce sa filiation "labrador" qui prend le dessus en lui, comme un Mister Hyde à quatre pattes ?
Toujours est-il que notre paisible gardien est en réalité un fou de chasse. Je dois bien dire la vérité, à la fin : le matin, quand je l'emmène, sous prétexte d'hygiène, marcher une demie-heure sur l'avenue verte, certes moi je me promène... Mais lui il va à la chasse au lapin.
La honte.
Certes, en sept ans, il n'a réussi à n'en attraper que deux, et encore : un étourdi, lapereau de l'année un peu concon, et un dépressif suicidaire, sûrement, venu traverser la pelouse... Mais il n'empêche. Chaque matin, mon Tartarin Brayon se prépare psychologiquement à une fine partie de chasse. Et que je te frétille, et que je te gémis, et que je m'enfonce dans les broussailles en faisant un tapage de tous les diables, et que je m'élance dans des "départs lancés" de toute beauté, pour stopper ensuite sec, lever une patte, étendre la queue puis sauter, cabré comme un kangourou, au beau milieu du fourré...
Je laisse faire... Mais le rappelle quand même à l'ordre, quand il va trop loin ou qu'un petit chevreuil débouche inopinément. Ca, les chevreuils, ça le met dans un état pas possible. La dernière fois que l'un d'entre eux a débouché, j'ai juste eu le temps d'attraper le chien par le collier : il était devenu une sorte de boule de nerfs au poil hérissé, aux yeux exorbités... Et l'arrivée du chasseur n'a rien arrangé.
Un vrai chasseur, hein, avec bottes et fusil scié au coude, qui, sortant des broussailles, s'est approché en me demandant poliment si j'avais vu un chevreuil passer ?
Le temps d'interroger ma conscience, et d'en avoir reçu une réponse immédiate et satisfaisante - à savoir que mentir à un chasseur n'est en aucune manière un acte répréhensible, j'ai répondu que le chevreuil était effectivement passé, et qu'il était parti (et je joignais le geste à la parole, étendant largement le bras) "par là, à gauche.."
Oui, mais hélas...
Pendant que mon bras gauche indiquait la fausse direction, mon bras droit, lui, devait contenir, au bout de la laisse, un chien tout tendu vers la droite, frémissant du museau à la queue, le poil hérissé et la gorge laissant échapper un sourd gémissement. Un vrai panneau indicateur.
Le chasseur nous a contemplés un moment tous les deux...
J'ai tenté de soutenir crânement son regard, mais quand il a doucement fait remarquer que j'avais un beau chien de chasse, là, et que, ça se trouve, le chien pourrait l'aider rapport au chevreuil, je me suis sentie rougir. D'autant que cet imbécile de chien ne semblait pas du tout considérer le chasseur comme un ennemi potentiel : il s'est même blotti entre ses jambes, et semblait lui promettre un amour et une reconnaissance éternels, du moment qu'il l'emmène poursuivre ce satané chevreuil...
Le traître.
J'ai répondu dignement que non, mon chien ne chassait pas, mais je sentais bien que ça le faisait doucement rigoler, le chasseur... Nous avons donc tourné nos talons et nos pattes, brisant là.
Mais je sens bien qu'entre Ti'Punch et moi, depuis, s'est glissée comme l'ombre d'une incommunicabilité...