La principale caractéristique des filles de ma famille, héritée tout droit de notre mère, est, je crois, l'énergie, ce qui nous donne plus de courage que certains, quand il s'agit de prendre à bras le corps une réalité, même déplaisante. Le corollaire de cette qualité, si c'en est une, est l'impatience...
J'ai écrit il y a quelque temps, sur ce blog, que je souhaitais sauter par-dessus les quelques semaines qui viennent, afin d'être fixée sur certaines échéances qui me concernent directement. Mais voilà : la réalité, une fois de plus, déjoue les plans les mieux organisés, et me voici dans l'incertitude la plus complète sur ce qui va réellement m'arriver. L'attente risque de ne plus se compter en semaines, mais en mois.
Je suis donc, ce qui ne m'est que fort peu arrivé dans ma vie, flottante, sans obligations ni devoirs hormis les quelques corvées quotidiennes que j'accomplis sans presque y penser (mettre du bois dans le feu, acheter et préparer les aliments, surveiller de loin les études du Clopinou, promener le chien et tenir le ménage, enfin celui que je me suis fixé !), bref me voici pratiquement inoccupée. Oh, certes, le livre de mon enfance, celui sur Jim, les diverses nouvelles que j'aurais envie d'écrire (comme cet amour ferroviaire qui me fait sourire, et que j'ai envie de composer sur le modèle d'Anita Brokner) me tourmentent encore un peu. Mais la situation particulière dans laquelle je me trouve, à savoir que mon sort ne dépend pas de moi mais d'autres facteurs, sur lesquels je n'ai pas de prise, m'empêche de m'atteler à ces "vrais" ouvrage. Une bonne excuse, comme celles que se donnent les alcooliques pour rejeter sur les autres la faute de leur propre addiction.
Ce n'est, au reste, pas vraiment de l'incurie caractérisée. Disons que je flotte, quelques pied au-dessus de ma maison, avec un petit fil qui me rattache au quotidien, petit ballon captif et sans direction réelle. Ce n'est pas déplaisant, mais si inhabituel que j'en suis désorientée. Me voici comme la girouette de la maison, à renifler le vent.
Certes, il y a ce stage, à Paris, que je prépare en mettant au propre mes idées. C'est surtout histoire de voir si elles coïncident bien avec le propos de Clopin : il est le réalisateur pressenti du projet, donc le "maître à bord". Mais tout cela flotte, comme une fleur coupée, posée sur une coupe pleine d'eau.
Quelque chose d'effiloché vient de prendre le pouvoir dans ma vie. Et je crois que, dans le cocon douillet du quotidien, une légère appréhension m'envahit, comme un morceau de brume emprisonné dans les branchages morts d'un arbre hivernal cherche à s'en échapper : il ne faudrait pas que l'effilochure s'agrandisse, au point de devenir trou béant dans le tissu de ma vie.