Après la mort de Dagobert, notre âne, Grand Noir du Berry, qui jamais n'a failli, nous devions vendre Eloi, l'ânon orphelin.
Nous ne pouvions pas le garder : il aurait cherché à saillir sa mère. Et comme Eloi montre lui aussi, comme son père, tous les signes de l'intelligence animale et de la gentillesse, cela nous faisait peine de le castrer : un bel âne comme ce qu'il promet de devenir, un étalon "gentleman", ne rechignant pas à la besogne mais surtout doux, docile, sociable à l'extrême : non, c'était du gâchis. . .
A cela s'ajoute notre fatigue, à Clopin et à moi, d'avoir à gérer les gestations et les mises bas de Quenotte, et à vendre nos ânons. Certes, nous avons toujours réussi : mais cela demande de l'énergie, d'aller dans les foires aux ânes, de recevoir les éventuels acquéreurs, de faire les papiers et de payer les frais vétérinaires, de résoudre les problèmes des transports : bref, de gérer la chose.
Et puis il y a la problématique de notre (splendide) carriole. Un demi-tonneau avec la capote doublée de velours d'Alcantara, d'un beau rouge, qu'un grand mâle comme Dagobert pouvait parfaitement tirer, mais que Quenotte, avec sa caboche infernale, rechigne vraiment à traîner.
La conjonction de tous ces facteurs nous a amenés à accepter la proposition d'un marchand de l'Avesnois, spécialiste des chevaux espagnols. Il possédait une mule, croisement d'un baudet et d'une jument, et avait beaucoup admiré Eloi, à la foire de Beauvais, surtout quand l'ânon, précocement, (nous ne nous étions pas attendus, Clopin et moi, à ce qu'il soit chaud comme la braise !) , s'était montré plus qu'excité par la présence des femelles...
Pourquoi ne pas échanger notre ânon, dont le marchand avait besoin pour saillir des petites juments espagnoles, blanches et fines, contre la jeune mule de quatre ans, qui, déjà à moitié dressée, se montrait encline au travail, obéissante, et possédant une énergie et un allant bien supérieur à celui de notre Quenotte ?
Nous sommes allés la voir, au-dessus de Saint-Quentin (au passage, nous avons fait halte en centre ville, profitant de la splendide façade de l'hôtel de Ville, des légers carillons qui sonnent tous les quarts d'heure, du soleil, de moules-frites excellentes et de plats au maroilles. On sait vivre, quoi !) : les photos ne nous convainquaient pas, surtout à cause de la finesse incroyable des pattes de la mule.
"Des aiguilles", nous disait le marchand, "mais attention : des aiguilles d'acier".
Et c'est vrai que la mule était parfaitement équilibrée, fine et puissante à la fois, un vrai mélange des qualités de l'âne et de celles des juments. Et puis, "une gentille", comme disait son propriétaire, tout à fait sincèrement. On s'est tout de suite comprises, elle et moi...
Tope là, donc.
la seule incertitude est l'année réelle de sa naissance, qui va conditionner son nom : année des B., ou année des C. ?
En tout cas, dès la semaine prochaine, enfin je l'espère, on pourra voir dans les prés de Beaubec, à côté de la grande Quenotte de la Brande, la fine Biscotte de Malincourt...
Ou peut-être Craquotte de Malincourt...
Hi han !