Entendu hier à la radio : une grève des personnels de l'hôpital d'Evry. Figurez-vous que les travaux de construction du nouvel Hôpital, "confiés" au groupe Eiffage, se révèlent fort mal menés, d'où des contribuables franciliens du sud fort malmenés, d'où des personnels sanitaires en colère, d'où des grèves, d'où, in fine, encore un peu plus de souffrance dans ce bas monde....
Bon, je ne vais pas revenir sur cette enième affaire, mais simplement en profiter pour revenir à cette curieuse dénomination : le PPP, ou partenariat public-privé, qui dans le naufrage général de l'affaire d'Evry, apparait comme un des responsables.
Or, si vous interrogez n'importe qui sur ce qu'est un PPP, je vous défie de recevoir une réponse un tant soit peu cohérente.
Le problème, c'est l'ignorance absolue des français, leur indifférence voire leur mépris pour les mécanismes d'administration générale de notre beau pays. A part les plaintes pour des réglementations toujours plus lourdes, et ressenties comme absurdes (plaintes souvent justifiées, certes) , les exemples (nombreux) d'inefficacité et l'unanime récrimination (soigneusement entretenue par le gouvernement actuel) contre ces privilégiés de fonctionnaires qui ne regardent que la pendule quand ils arrêtent de ne rien faire, je défie quiconque de me dire comment, pourquoi, et à qui reviennent les différentes tâches qui permettent de réguler un pays.
Et pourtant : " Le premier objectif de la gouvernance est d’apprendre à vivre ensemble et à gérer pacifiquement la maison commune "
Dans cette perspective, les PPP sont une aberration, pire encore : une faillite du système administratif français, qui, malgré les railleries et les insuffisances, avait largement démontré sa solidité... Avant que l'hyperlibéralisme ne vienne, armé de ses gros sabots, piétiner ce qui fut, depuis Colbert, une des forces et non la moindre de la cohésion nationale : à savoir une administration efficace et soucieuse de l'argent public.
Le PPP n'est rien d'autre, en fait, que la manière de détourner la législation qui encadre les marchés publics. Bon, pour ceux qui n'y comprennent que pouif ou qui s'en battent le noeud, les marchés publics, c'est ce qui permet aux représentants du peuple, élus démocratiquement, de procéder à des achats. Tout simplement.
Prenons quelques exemples. Un Maire, un Président de Conseil Général ou Régional, de Communauté de Communes, de SIVOM, ou tout autre organisme public, est missionné par son organe délibératif pour acheter du Papier Toilette pour les chiottes où ses fonctionnaires vont se soulager, une voiture pour son Directeur Général des Services (bling bling, hein, la bagnole, sinon ce dernier va aller se vendre au privé, non mais) , de construire une maison de retraite, une crèche, ou un hôpital.
Il devra en passer par des marchés publics, c'est-à-dire par une mise en concurrence des différents architectes qui vont pouvoir lui dessiner son futur hôpital, ou des différents vendeurs de papier cul pour ses chiottes. Mise en concurrence réglementée, cette réglementation se voyant tous les six mois modifiée d'une manière ou d'une autre (délais rallongés ou raccourcis, seuils définissant les différentes procédures augmentés ou rabaissés, bref, cuisine interne visant souvent à essayer de suivre les recommandations européennes ou simplement à donner de plus en plus de pouvoir aux élus, en diminuant le rôle d'arbitre et de contrôle de l'etat).
Je sais, vous allez me demander mais pourquoi bon dieu fichtrebordel de merde je m'intéresse à tout ce fatras... C'est que ce fatras, voyez-vous, restait quand même le garant d'un principe à la fois simple, rationnel et rassurant.
A savoir que l'argent du bon peuple était géré par les représentants de ce bon peuple. (1,2,3)
Oh, ce n'était pas que ces représentants brillassent par leur pertinence, leur efficacité, leurs compétences voire leur honnêteté, hein. C'est que c'était tout simplement eux qui prenaient les décisions d'achat, dans le cadre de la réglementation des marchés public. Les célèbres "Commissions d'Appel d'Offres", c'étaient eux. Les Maîtres d'Ouvrages Publics, c'étaient eux. Une fois que l'organe délibératif avait pris la décision de pourvoir les chiottes de PQ ou de construire un hôpital, il y avait forcément des élus, démocratiquement élus, qui se réunissaient, écoutaient les rapports d'appel d'offres établis par leurs fonctionnaires, embauchaient les cabinets d'étude, les architectes, signaient les marchés avec les maçons et les devis des fournisseurs, bref, GERAIENT LA BARAQUE.
C'en était évidemment trop pour un régime libéral. Voyons, voyons, le système français imposait déjà que celui qui signait les devis (l'élu qui, en Commission d'Appel d'Offres, choisissait le maçon pour rénover le mur de l'école qui se pétait la gueule) ne soit pas le même que celui qui payait la facture (le Trésorier Municipal, mandaté pour le faire, c'est ce qu'on appelle la séparation entre l'ordonnateur et le comptable, un des principes fondamentaux de l'utilisation de l'argent public).
C'en était trop.
Et hop. Afin de ne pas avoir à suivre la réglementation des appels d'offre, et de contourner le principe de la séparation de l'ordonnateur et du comptable, on a inventé, en 2007, le PPP. Pas de Pitié pour le Public, quoi.
On supprime tout cet ennuyeux et rébarbatif dispositif, pour que l'argent aille où il doit aller : dans la poche des copains du privé...
Faut construire un hôpital ? On décide que c'est urgent, et compliqué. Tellement urgent que les délais légaux des appels d'offres (laisser sept semaines aux entreprises pour soumettre un devis, entre autres) sont bien trop longs. Tellement compliqué que les élus sont incapables de disposer des services compétents pour les aider à prendre leurs décisions (aucun fonctionnaire ne saura leur expliquer pourquoi le PQ moltoné triple épaisseur est plus moelleux mais donc plus cher que le PQ fleur de cuvette en papier recyclé gris).
A la place, les élus vont signer un Partenariat Public Privé qui leur ôtera tout pouvoir décisionnel. Ce ne seront plus eux qui vont choisir l'architecte, les boîtes de constructions, les conducteurs d'opération, la couleur du PQ, etc., etc. Ce ne seront plus eux qui vont signer les devis. Ce ne sera plus le Trésor Public qui paiera tous ces braves gens, par virement administrif. Il n'y aura plus ces ennuyeuses commissions d'appel d'offres sensées faire respecter la concurrence (qui, je vous le rappelle, en économie libérale, est considérée comme LE SEUL ET UNIQUE PRINCIPE ABSOLU de régulation sensé nous séparer des crocodiles, je veux dire des ententes illicites et autres presse-citrons).
Ce qu'on va faire, c'est qu'on va signer un partenariat : moi, puissance publique, je vais confier tout le toutim à un seul partenaire. C'est ce partenaire qui va faire le boulot, qui va embaucher et payer les entreprises (comme par hasard, ce seront ses architectes et ses propres ouvriers que ce "partenaire" va utiliser, plus quelques roumains non déclarés via ses sous-traitants peu scrupuleux, ce qui gêne forcément un peu un élu, oh, un tout petit peu mais quand même, alors que le privé, lui...) , qui va gérer le bâtiment pendant X années, qui va donc contourner et le code des marchés et les modes d'utilisation des derniers publics. Les codes des Marchés et de la comptabilité publique, on pourra se torcher avec... (donc la question du PQ est résolue du même coup). C'est beau comme du Wagner, dites donc, ces PPP...
Bien sûr, ça va coûter un peu plus très cher, mais c'est qu'on est pressé (la construction de l'hôpital, c'est urgent), et incompétent (c'est compliqué un hôpital).
Ce que ça donne ? Ben, sur les milliers de marchés publics qui se concluent sans encombre tous les ans dans notre beau pays, et qui sont carrément un des piliers de notre économie (combien de boîtes couleraient, sans les marchés publics ?), les plus beaux, les plus juteux, vont être refilés aux copains, comme ça, l'argent public ne fait plus aucun détour avant d'arriver dans les poches du privé qu'on aime, de celui qu'on chérit, de son pote-à-soi quoi. C'est-y pas beau ?
Il y a cependant un petit quelque chose qui me turlupine. Les PPP, nous dit-on dans la loi les autorisant, ne pourront être utilisés qu' à la condition que les opérations visées soient urgentes et compliquées. . Mais d'un autre côté, quand même, la loi exige de monter un "cahier des charges" du PPP, qu'il faut élaborer avec soin, EN PRENANT SON TEMPS. Perso, je ne comprends pas bien : ça urge à ce point, ou non ? Parce que, s'il faut carrément passer autant, voire plus, de temps à monter son PPP qu'à faire des appels d'offre, je vois pas bien la cohérence de la Loi, moi.
Détail, on ne va pas s'amuser à répondre à ce genre de questions. Passons.
Vous suivez toujours ?
Donc, le PPP est mis en place. La puissance publique s'est déssaisie de tout : montage des marchés, règlement des factures, gestion à court, moyen ou long terme de l'équipement. Ca a un coup, forcément : une sorte de loyer avec plus-value, que la collectivité va payer à Bouyghes, Effeiage, ou n'importe quelle grosse boîte capable d'aligner le pognon et l'infrastructure pour réaliser l'équipement. Ce coût sera bien évidemment prohibitif, et ceux qui se frottent les mains, ce sont les avocats d'affaires, quand les conflits vont surgir. Car il y en aura, et Evry est le premier d'entre eux...
Quand, au bout de 15 ans que Bouygues aura fait supporter à la collectivité le prix d'une prison (ils aiment ça les prisons en PPP) et qu'il y aura un scandale parce que Bouygues négligera de boucher les trous des murs qui se pètent la gueule, au motif que ce n'est pas écrit dans la page 10 du PPP, et que la collectivité va devoir fermer sa gueule, on va bien rigoler. Sauf, évidemment, en pensant à l'argent public ainsi dévoyé...
Je suis désolée d'être aussi emmerdante, mais c'est que, de par les choses de la vie, j'ai été amenée à m'intéresser à ces matières si peu sympathiques, si rébarbatives, si compliquées, qu'il vaut bien mieux que les français continuent à n'y rien comprendre. Après tout, il ne s'agit que de leur argent, et de la manière dont on le dépense...
PS 1 : je ne parle pas, n'est-ce pas, des mécanismes de désignation de ces représentants, car c'est une autre histoire. Je parle du moment où le mal est fait, en quelque sorte.
PS 2 : je ne parle non plus pas, ici, de l'opportunité de telle ou telle décision, n'est-ce pas. Si un élu veut dépenser trois cent vingt millions d'euros pour construire un WC sur la place de la Concorde, ça ne regarde ni la Commission d'appel d'offres, ni le Trésorier. Eux se contentent (ou plutôt se contentaient) de vérifier que le pognon était dépensé suivant les mécanismes qui permettaient d'éviter le maximum de casse... ce qui était d'ailleurs exact. Il y a toujours eu des scandales dans les appels d'offres. Mais quand on songe aux nombres d'appels d'offres conclus annuellement dans ce pays, grosso modo ça allait plutôt bien.
PS 3 : autre avantage des PPP : rendre évidemment les fonctionnaires chargées des marchés inutiles , ou au moins en réduire le nombre . Ces cons de fonctionnaires, voyez-vous, ont parfois à coeur la défense de l'intérêt public. Franchement, vous avouerez ! Au lieu de filer bosser chez Bouygues... Z'ont pas le sens de l'histoire. Virez-moi ça.