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6 octobre 2014 1 06 /10 /octobre /2014 09:20

Ce n'était pas Waterloo, non, mais tout de même, dans ce tout jeune matin de dimanche, il y avait comme du découragement dans l'air : du dégonflage, ou plutôt du non-gonflage. Une fois de plus, la montgolfière nécessaire au tournage "des Racines et des Haies" était indisponible, comme je le raconte sur le site, Il y avait des risques de rafale de vent, et Mister Montgolfière est bien trop prudent pour nous faire courir le moindre danger.    Les copains qui s'étaient mobilisés, levés fort  tôt et pleins d'énergie, sont repartis bredouilles. Nous nous sentions à la fois gênés vis-à-vis d'eux, et surtout dépités.

 

Ce projet de prise de vue aérienne date du printemps dernier, et il n'y a pas eu moyen de le concrétiser. Depuis de trop  longues semaines, nous "attendons notre tour", sans que jamais il ne vienne. Et pourtant, j'y vois, moi, comme une sorte de synthèse de notre projet. Une parfaite adéquation entre le contenant et le contenu : un moyen idéal de parler du bocage...

 

Songez qu'une Montgolfière, c'est, certes, une nacelle (fort lourde : 700 kilos) et une enveloppe (fort respectable elle aussi : dans les 250 kilos), mais si vous y réfléchissez, ce n'est pas le ballon qui transporte les 16 personnes de la plus grande nacelle de Mister Montgolfière : c'est l'air, donc quelque chose de si invisible, évanescent et léger qu'on peut parfaitement, par licence poétique et émerveillement devant les lois de la physique, le  traiter d'évaporé. Ce qui bien entendu m'enchante ! Moi dont la lourdeur physique s'accompagne d'une incorrigible propension à la divagation de l'esprit, dont les idées sans cesse  tentent d'échapper à la pesanteur du quotidien, qui ne suis pas sérieuse en un mot, l'idée d'ainsi "m'envoyer en l'air" ne pouvait que me soulever d'enthousiasme...

 

Et puis le rythme lent de la montgolfière, son altitude raisonnable, le silence qui s'instaure entre deux allumages de gaz, l'osier de sa nacelle, le tissu de son enveloppe, sa tranquillité en quelque sorte  : tout ici est d'une humanité à portée de main, d'une simplicité et d'un génie maîtrisables par tous, qui correspond si parfaitement au bocage, tout entier issu, lui aussi, d'un génie humain qui allie le "bien faire" avec le "peu".  Sans compter qu'à part un peu de gaz, et une logistique certes conséquente (un énorme 4x4, un plateau, un gros véhicule pour rapatrier les voyageurs) mais si minime au regard de n'importe quel avion, la montgolfière ne laisse aucune trace de son passage. Pas même une ligne blanche sur le ciel bleu de Bray... Adéquation entre le fond et la forme, vous dis-je !

 

Nous nous apprêtions à annoncer, la queue basse, à ceux qui ont cru en  nous au point de se mobiliser,  notre échec : Mister Montgolfière ne vole plus, à compter du 15 octobre. C'était donc fini...


A moins d'un rebondissement, bien sûr.

 

A moins...

 

A moins que...

 

A moins qu'à 16 heures, Mister Montgolfière ne rappelle la petite équipe de Beaubec Productions : il ne pouvait nous fournir le "petit" ballon prévu pour les 8 agités du bocage, mais si nous  étions prêts, il y avait des désistements pour le vol du soir. 4 places, pas une de plus, étaient à notre diposition. 

 

Le temps d'appeler Béatrice, l'ingénieure écologue qui devait commenter du haut de la nacelle la canopée des haies, le temps de rallumer notre enthousiasme, comme Mister Montgolfière ses torchères à gaz, et nous voilà partis !

 

 

camera-embarquee.jpg

 

(caméra "embedded")

 

 

La nacelle du Ballon est disposée comme un casier à bouteilles, quatre passagers par case. Certes, avec le matériel de Clopin, notre case, déjà petite, était quelque peu encombrée. Mais qu'importe : le vol fut un émerveillement, de bout en bout. Comme je le pensais, la lente dérivation du Ballon "correspondait", en quelque sorte, aux courbes douces de Bray, à cette marquetterie du Bocage qui s'étendait paisiblement en-dessous de nous. Et quand Mister Montgolfière, (dont le moins qu'on puisse dire est qu'il maîtrise son sujet), nous a fait raser un champ de maïs avant de reprendre un peu de hauteur avant l'atterrissage final, là nous étions tous devenus aussi légers et ondoyants que l'air qui nous emportait, que les plantes que nous caressions presque...

bocage-1.jpg 

(le Bocage)

 

bocage-2.jpg

(le Mont de Sigy et son "fer à cheval")

longere.jpg

(une longère...mais pas la nôtre...)

 

Que du bonheur.

ne-pas-laisser-de-traces--jpg

(ne pas laisser de traces...)

 

A part, bien sûr, la toute petite ombre au tableau : notre projet d'un vol "rien que" pour 8 d'entre nous, et le décollage  du "Plix " (pour correspondre à notre plan-terrier), n'avaient pas, eux, abouti. Qu'à cela ne tienne : comme, de toute façon, le film ne tiendra pas ses échéances pour cette année, qui nous empêche d'organiser un second tournage, au printemps prochain ? Au mois de mai, tenez, quand les pommiers mettent leurs robes de mariées, et que le colza, en fleurs, fait  éclater  son jaune d'oeuf, son jaune mimosa, sur le vert des cultures ?

 

Un grand merci à tous, et à l'année prochaine, promis !

vous-avez-dit-collectif.jpg(vous avez dit "collectif" ?)

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3 octobre 2014 5 03 /10 /octobre /2014 09:25

Le club des agités du bocage (nous les appellerons ainsi, en souvenir de Céline se moquant de Sartre - Vian, lui, l'appelait "Jean-Sol Partre" !) se réunit ce soir à la maison. Il s'agit de préparer la grande scène collective du film "des racines et des haies", un vrai-faux reportage sur une réunion du Bureau de l' A.R.B.R.E.

 

C'est une scène essentielle du film, puisque l'idée principale qui sous-tend toute l'entreprise y trouve son illustration. A savoir que c'est en passant d'une prise de conscience individuelle, ponctuelle, "romantique", à des actions collectives que la défense du bocage, la revendication de la préservation des haies, des mares, de la biodiversité, a commencé à s'opérer.

 

C'est aussi, bien entendu, un message d'espoir : il me semble que le processus de désindustrialisation de l'agriculture, essentiel à notre environnement, est enclenché désormais. Oh, bien doucement, bien timidement. Mais avons-nous vraiment le choix ?

 

Du bureau de l'A.R.B.R.E. à la chaudière de Neufchâtel-en-Bray, c'est cette histoire-là que Clopin veut raconter.

 

Alors, oui, le club des agités du bocage a toute sa raison d'être. Cela fait partie du travail de fourmi quotidien. Et il serait important de ne pas oublier que, derrière la "réussite" de la prise de conscience de la valeur de la haie, il y avait les racines de l'engagement, et que c'est la dignité de l'homme rural face à cette nature qu'il régit qui est en jeu. Et je maintiens  le mot de "dignité" : il y aurait sans doute moins de suicides dans les professions agricoles si ces hommes et femmes-là étaient plus fiers d'eux-mêmes.

 

(le compte-rendu de la réunion du club sera disponible sur Beaubec Productions, of course.)

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28 septembre 2014 7 28 /09 /septembre /2014 07:20

On ne compte plus les déceptions montgolfiériques : une fois de plus, ce matin, le vol a été annulé. Déjà, mardi dernier, nous n'avions pu qu'assister au décollage (la nacelle était pleine). Aujourd'hui, nous pensions rebondir, d'autant que  toutes les conditions étaient réunies : un beau temps idéal, la présence de notre ingénieure écologue Béatrice munie de ses antisèches sur le bocage, un départ pile-poil où nous le voulions, près de ce manoir du Plix déjà repéré aux archives départementales ; en prime, et au tout dernier moment, miracle,  une place libre pour votre servante (qui a battu le record du monde de vitesse d'enfilage de pantalon, de chaussettes et zou, dans la voiture vers le haras du Plix, en sifflotant la symphonie du nouveau monde !) ; nous avons patienté de 7 h à 8 h, pendant que les brumes bleues disparaissaient, moments magnifiques,  au fur et à mesure que le soleil se levait  : mais il n'y eut que lui pour se lever -  le ballon est resté dans sa housse.

 

Pas assez de vent. Mister Montgolfière était dépité : ni à Beauvais, ni à Rouen : pas un souffle de vent. O km/h. Seul Evreux connaissait une légère brise... Mais Evreux  était bien loin...

 

C'est donc  partie remise, et si décevante qu'il faut toute la détermination de notre petite association pour que l'espoir reste accroché à notre projet, comme la lourde nacelle à son magnifique ballon...

 

 

gonflage.jpg

 


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7 septembre 2014 7 07 /09 /septembre /2014 09:16

Samedi, jour de tournage des "racines et des haies" :

 

AA2_8569.jpg

 

Nous étions quelques uns à soutenir Clopin et H., notre voisin-ami-copopriétaire (et par ailleurs trésorier de Beaubec Productions) : il s'agissait d'un plan de coupe de haies, au taille-haies électrique mais aussi à la cisaille, chemin du Bastringue à Beaubec. C'est un petit chemin parfaitement représentatif du bocage, et point encore trop bousillé par le mitage du paysage à la Sam'Suffit. Idéal, donc, pour notre propos :

AA2 8536

 

 

D'autant que Clopin a pu prendre de la hauteur, grâce à la nacelle prêtée gracieusement par la Ville de Forges :

 

camera-sur-nacelle.jpg

 

 

Nous étions quelques uns, requis par l'A.R.B.R.E., pour sécuriser l'endroit. Mais cela n'a posé aucun problème - les voitures sont rares par ici, à part les  nôtres... Deux cyclistes, deux joggueuses : aucun souci.

 

AA2_8585.jpg

 

 

Je crois que le chauffeur de  la nacelle (qui s'élève quand même à 17 mètres) était très content de participer à notre petite aventure. Quant à moi, j'étais fort contente que Clopin reprenne le tournage, après l'interruption subie cet été (le plan de tournage, notamment les scènes avec la Montgolfière, a été sérieusement perturbé).

 

Et puis je ne suis plus du tout dans la même disposition qu'il y a quelques années, quand Clopin tournait la Bergère et l'Orchidée et que je trouvais qu'il ne tenait pas assez compte de mon travail. Je sais désormais que c'est le réalisateur d'un film qui en est le concepteur, et que l'écriture du scénario se pliera, à la fin, à la conception de l'auteur, et basta. Du coup, consciente de la limite de mon rôle, me voici aussi légère qu'un porte-plume. Un porte-plume clopinien, bien sûr !

 

AA2_8575.jpg

 

et puis après, pour nous récompenser, apéro à la maison !

 

 

 

 

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28 juillet 2014 1 28 /07 /juillet /2014 11:29

Le journal de tournage du film "des racines et des haies" -vous pouvez le retrouvez sur l'excellent site de Beaubec Productions, et je ne dis pas ça parce que c'est moi qui le rédige ! -  pourrait bien s'enrichir d'un nouveau et palpitant épisode. Il semblerait que toutes les conditions soient requises pour demain soir...

 

Nous vaincrons donc, si dieu le veut, la pesanteur terrestre en nous embarquant tous (enfin, tous ceux qui pourront ; seule l'équipe de tournage, soit quatre personnes dont votre humble servante, sera subventionnée ; le reste... devra payer sa quote-part !) dans une magnifique montgolfière. Ca m'excite d'autant plus que, bien avant d'envisager quoi que ce soit, j'avais déjà repéré la super-belle-montgolfière d'un rouge soyeux, chinois, lumineux et lourd, que j'ai souvent vue lors de mes promenades sur l'avenue verte. Elle se détachait sur les frondaisons qui forment comme la chevelure des douces collines brayonnes, telle un bijou dans un présentoir soyeux. Quel luxe, et quelle chance : j'espère bien que c'est celle-là qui nous servira demain.

 

Il reste bien entendu à vérifier la disponibilité de Monsieur Montgolfière, à tordre nos doigts pour que la météo soit avec nous, à renifler le vent pour qu'il nous pousse du bon côté et à espérer que Clopin sera content de ses images...

 

Moi qui aime tant les pluies d'été, à cause de leur odeur ozonée, de leur transparence, et de leur courte durée, je ne supporterai pas de voir notre beau projet douché proprement !

 

N'y pensons pas, allons mettre un cierge à Sainte Rita et, déjà, dans la pensée, arrondissons-nous doucement, comme le ballon d'un enfant, la bulle de savon, ou la boule de noël, tête à l'envers : j'en ai la tête en l'air !

 

thumbs mongolfiere

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8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 08:28

Porte-sacs, orienteuse de cercle renvoie-soleil, noeud de mouchoir (pour ne pas oubier les photos du making-off) : je sers à si peu de choses, sur le tournage des Racines et des Haies, que je me demande bien pourquoi Clopin insiste tant pour que je  vienne.

 

Il n'a certes pas besoin de moi pour aller tourner à la Ferté Saint-Samson, dans une ferme située sous le mont aux Fourches (ainsi appelé parce qu'au moyen-âge, c'était sur cette butte qu'un gibet permanent était installé : bbbrrrr, les brayons !) , ou encore pour aller écouter Michel L., l'écologue  : ce dernier connaît si bien son sujet qu'il n'a besoin d'aucune question ou note quelconques....

 

clopin-lerond.jpg

 

Je me demandais donc à quoi, exactement, je servais là : certes, le blé est frémissant et duveteux, il est agréable d'y passer la main,  certes, il y a toujours comme une incertitude dans le tournage d'un film, même documentaire, qui électrise ces moments-là, mais néanmoins : pourquoi ?

 

Et puis j'ai compris. Je n'ai aucune compétence en matière d'images, connaîs moins bien le Bray que lui, et j'ai déjà accompli ma tâche (écrire le scénar'). Mais Clopin a besoin de moi pour une fonction primordiale : la contenance.

 

Je lui sers de contenance ! Ainsi, il n'a pas besoin de se présenter, ni d'assurer le minimum d'urbanité nécessaire aux rapports sociaux ; il peut donc tout à loisir se consacrer  à l'essentiel pour lui : le réglage du matos, la lumière, la prise de vues...

 

Ca me rappelle notre rencontre, quand nous étions si remués et touchants (et si bêtas aussi, comme le sont tous les  amoureux), que nous chantions à perdre haleine du Julien Clerc. Je fredonnais qu'il était "ma préférence... à moi"... Et dire que je suis devenue sa contenance à lui...

 

Mais bon, comment refuser quelque chose à un type qui sait, par exemple, photographier l'ombre remuée  des arbres sur une porte bleue ?

 

bleu-boite.jpg

 

 

 

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21 avril 2014 1 21 /04 /avril /2014 12:03

Encore un peu de plan-terrier  (c'est fini après, je vous jure, mais ça vaut le détour, sisisi) : 

 

archives4.jpg

 

 

Il faut bien regarder : on voit les poiriers dessinés en cône, les pommiers plus ronds, chacun avec leur ombre étendue devant eux, dessinée à main levée, d'un trait si fin.... On voit bien aussi que le long des routes "anciennes" , vers Serqueux et Neufchâtel, ce ne sont que des alignements de haie, ici des tétards,  qui étaient soigneusement gérés : au 18è siècle, le bois devient une ressource indispensable pour des besoins toujours plus croissants. Le chemin de Forges à Gournay, en bas du plan, n'est pas encore planté : c'est qu'il vient tout juste d'être pavé, comme le plan en témoigne. Chaque parcelle, si minuscule et découpée soit-elle, est entourée de haies, différenciées sous la plume du feudataire. Nous sommes ici en plein coeur du Forges de l'époque, très dissemblable de celui de nos jours : l'église représentée est sur l'actuelle place Brévière, qui n'a rien gardé de l'édifice... Et un "arbre remarquable" est planté à peu près en face de l'actuel office de tourisme.

 

 

archives5.jpg

 

 

 

Nous voici maintenant en plein coeur du plan : on voit nettement la rivière de l'Epte, avec ses arbres plus espacés, d'espèces différentes,  que les haies, son pont enjambant la mare, et le marécage du fond des terres du Plix ("les rosières", sûrement à cause des roseaux qui y poussaient) : remarquez que la zone marécageuse est elle aussi encerclée soignement de têtards ! Les longères (mon dieu, ce qu'elles ressemblent à la nôtre !) sont  ici habitées, car on y discerne nettement des cheminées : cela ne veut pourtant pas dire que ce sont des propriétaires qui y habitent, mais peut-être des fermiers, des ouvriers agricoles. Regardez comme la parcelle 200 est étroite : enclavée dans des champs de céréales. D'après Joseph, le zébrage plus foncé (parcelle 232) devait représenter les récoltes d'automne. Les zébrure claires, 198,199,181, celles de printemps. La grande parcelle sans numéro, (il est inscrit plus loin sur le plan), à droite de la route d'Amiens, est très certainement une bouverie.

archives6.jpg

 

La "Source" indiquée sur le plan est celle de l'Epte. Là encore, on voit nettement la différence entre les poiriers triangulaires et les autres arbres, dans les clos, et l'alignement fantastique des haies du bocage. Vous remarquez aussi que la parcelle 97 contient trois bâtiments, dont deux non habités (pas de cheminées). Enfin, que dire de cette rose des vents, et de sa représentation du monde, cette Afrique rebondie et joufflue dessous une Méditterranée démesurée ? Nous sommes ici aux confins de trois paroisses : Serqueux, le Thil qui n'est pas encore le Thil Riberpré, et Compainville.

 

Plus brayon que ça, tu meurs !!! (et dire que maintenant, quand tu passes à Serqueux, la seule chose remarquable c'est le Super U et son parking de mort...) ; au 19è siècle, le bocage était encore là, mais les surfaces cultivées avaient laissé la place aux pommiers, toujours plus nombreux à cause du cidre ou de la piquette (la piquette, c'était la boisson obtenue avec des pommes et de l'eau des mares : la fermentation en faisait une boisson hygiénique, mais si !) ; on a pu décrire le pays de bray, à l'époque, comme une "mer de pommiers". Quand ils enfilaient, comme maintenant, leurs robes de mariées, ça devait être assez fantastique !!! 

 

Bon, encore un peu de Thierry Maillard ? Ma foi, ça ne se refuse pas...)

 

 

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20 avril 2014 7 20 /04 /avril /2014 07:53

"Pas de Terre sans Seigneur" : ce principe fondamental de la monarchie est à l'origine du plan terrier du 18è siècle si bien analysé par notre ami l'historien. Et j'ai été charmée de toute l'histoire :

 

archives

 

Parce que ce plan si admirable, si finement dessiné, provient d'une commande seigneuriale des années 1760/1770. A l'époque, les seigneurs voulaient rétablir toutes leurs prérogatives, quelque peu émoussées avec le temps ; mais pour presser les paysans jusqu'à en recueillir la moindre goutte, pour qu'aucune botte de foin, litre de lait et motte de beurre,  kilo de viande, tonneau de cidre, céréales et fruits,  dûs via les fermages, les bouveries, les pâtures et les récoltes, ne leur échappe, il fallait connaître précisément et les ressources des habitants, et la moindre des parcelles cultivées. D'où cette incroyable précision des plans-terriers, distinguant chaque clos, chaque arbre (le paysan était tenu de remplacer l'arbre mort, d'où la nécessité pour le seigneur d'en connaître précisément le nombre), disposant d'une gamme de couleurs et d'un système de hachures et de zébrures pour codifier chaque culture, chaque pré à bétail, ici la mare, là le bois planté, etc. Pas moins de 240 parcelles, de la plus minuscule ("la terre des pauvres", gérée par l'église) au plus vaste herbage (ceux du manoir de Plix sont assez imposants !), en un patchwork coloré. Une multitude de propriétaires, certains dans l'aisance, comme la famille du Plix, le plus grand nombre dans la misère. C'étaient les veuves qui pâtissaient le plus. Certaines d'entre elles ne jouissaient que d'une seule pièce sans fenêtre, étaient "obolisées" (exempte des impots du culte et du seigneur), ne possédant strictement rien...

 

 

 

 

archives-3.jpg

 

 

 

 


 

C'est ainsi, et c'est un signe qui aurait intéressé Proust : ce splendide plan-terrier, dont la finesse et la fidélité à la réalité confinent à l'oeuvre d'art, était un instrument du pouvoir, je crois qu'on peut même parler d'oppression. Car le tiers-état, accablé de taxes, supportant l'église et le seigneur, allait bientôt faire entendre ses doléances : et les plans seigneuriaux, instruments de domination, allaient en pâtir.

 

 

archives-1.jpg

 

 

 


 

Mais n'allons pas trop vite, et revenons à notre seigneurie de Cerqueux, alliée à celle du Fossé et dépendant toutes deux d'une famille rouennaise, de noblesse de robe, installée au coeur du parlement de justice, détenant ainsi une position garantissant les privilèges aristocratiques et le pouvoir judiciaire Je vais les appeler "de Grumeny" (parce que j'ai oublié le nom exact prononcé par Joseph),  je pourrais les appeler "Corneille" (encore que ces derniers, au 17è siècle, n'étaient que récemment anoblis), mais nous allons éviter de faire trop de littérature, l'histoire s'en charge à notre place !

 

L'âpre seigneur de Grumeny, possesseur du Fossé et de Cerqueux,  avait donc déboursé une coquette somme dans les mains de son feudataire, pour établir les plans lui permettant d'exercer en plein ses droits. Cela faisait trente ans de cela.... Je l'imagine sec, au menton carré, de petite taille mais se tenant inexorablement droit. Une main d'acier dans un gant de fer...  Et pourvu d'un certain nombre d'enfants, mis régulièrement au monde par son épouse. Evidemment, noblesse oblige, une gouvernante était devenue, au fil du temps, nécessaire pour régir la marmaille... Et c'est là que l'histoire de notre plan-terrier devient particulière.

 

Le fils de la famille, un jeune homme sensible et qui, ça se trouve, lisait Corneille, et sûrement Voltaire, voire Rousseau,  tomba amoureux de la jeune et jolie gouvernante. Grand Scandale sur la place du Vieux-Marché : un noble, avec une roturière, et ce au moment où l'aristocratie était engagée dans une lutte pour conserver toute sa suprématie ? Impossible à concevoir ! Les deux amoureux durent s'expatrier, et se réfugièrent en Suisse (déjà...).

 

Mais la vie n'y était pas forcément facile sans les ressources familiales. Le seigneur  de Grumeny, sournoisement malin, laissa passer quelque temps. Puis, quand il estima que les charmes de la gouvernante devaient s'être quelque peu émoussés au contact du rude quotidien, il proposa à son fils son pardon absolu, à condition qu'il revienne à Rouen. L'éponge serait passée, on n'en parlerait plus...

 

Le jeune repenti reprit donc le chemin de la Normandie. Mal lui en prit. Le père, bien loin de passer l'éponge, profita de son pouvoir paternel et de sa position au parlement de justice pour fourrer tout unîment son rejeton en prison. La farce était amère...

 

Nous étions au printemps 1789.

 

A l'été, le jeune homme sortit de prison : il était devenu révolutionnaire, rejetant à la fois son père et sa classe, résolument pour la réforme et l'abolition de la monarchie. Puis ce fut la Bastille : son père en mourut donc, de rage. 

 

Or, les seuls plan-terriers qui nous soient parvenus proviennent tous de  seigneuries dont le chef de famille, en 1789, a choisi le parti de la révolution.

 

Les autres, tous les autres, ont été brûlés. Pourquoi ? Parce qu'après l'abolition des privilèges, la constituante avait établi que les paysans pourraient racheter leurs terres aux seigneurs, moyennant un prix lui-même assujetti aux droits pesant sur les parcelles. On comprend que les plans-terriers, avec leur redoutable précision,  pouvaient permettre d'enchérir les contrats : les paysans les brûlèrent donc tous...Sauf ceux des nobles alliés aux révolutionnaires, qui abandonnaient d'eux-même, sans les monnayer, leurs droits féodaux...

 

Comment voulez-vous que je ne divague pas là autour ? Je regarde mon plan de Cerqueux, et je me demande, rêveuse, ce qu'a bien pu devenir la jolie Gouvernante exilée, à l'amour de laquelle  nous devons d'avoir conservé comme une photographie aérienne d'un bourg brayon,  prise un matin de mai, en plein 18è siècle...

 

(c'est une histoire taillée pour le talent de Tracy Chevalier, pour sûr. Ca s'appellerait "la gouvernance du coeur"....)

 

 

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19 avril 2014 6 19 /04 /avril /2014 16:32

Hier, aux archives départementales, tournage avec notre historien Joseph D. , pour le film documentaire "des racines et des haies".

 

C'était passionnant.

 

Sans rire.

 

Jospeh a commenté un plan terrier du 18è siècle : pour rendre la scène encore plus vivante, je lui posais des questions. Je ne sais si la sincérité de ma curiosité va "passer" à l'écran, mais en tout cas, j'écoutais avec toute l'attention possible les explications de l'historien, et cela dépassait de loin la simple description du bocage au 18è siècle ; certes, ce siècle est non seulement celui des lumières, mais aussi celui de l'apogée du bocage. Nous commentions un plan terrier de la seigneurie de Cerqueux (qui s'écrit aujourd'hui avec un "s", mais en cette période bénie, personne n'en avait grand'chose à faire de l'orthographe. Sur le plan, en haut "dîme" s'écrit... "dîme", mais en bas "dixme", sans que l'auteur n'ait sourcillé d'un poil.). Serqueux vient de "sarcophage", car sous l'époque mérovingienne, un cimetière y était implanté...

 

Serqueux (ou presbyte pour les facétieux) est situé à cinq minutes de chez nous. C'est là qu'on vient chercher les visiteurs en provenance ferroviaire de Rouen ou de Paris. J'y passe tous les jours...

 

Et j'avais donc sous les yeux un plan magnifique, précis au détail près : les longères 'habitées" sont dessinées avec un panache de fumée s'élevant des cheminées, à l'inverse des autres bâtiments agricoles; les arbres, tous différenciés, ont chacun, d'un minuscule trait de plume, leur ombre qui s'étale devant eux...

 

Joseph nous a tout expliqué, et voilà que j'ai dans la tête la matière à des textes, des nouvelles, des récits.. Une brassée, que je n'aurai garde de laisser retomber...

Si tous les jours de tournage sont comme celui-ci, ça va être génial de tourner ce film !

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8 mars 2014 6 08 /03 /mars /2014 14:04

Une matinée de tournage, ce matin. J'accompagne Clopin en "mode sherpa", c'est-à-dire encombrée du pied de caméra, du guidon pour les tournages à l'épaule, de sacs divers... Il fait frisquet, malgré le soleil qui fait tout reluire. Et il a tant plu que le pré où nous allons tourner une scène de plantation de haie est encore largement humide, surtout vers le bas.

 

En fait, la haie n'est qu'une partie du boulot : les propriétaires qui ont travaillé avec l'association A.R.B.R.E. pour monter leur projet de plantation ont aussi bénéficié d'un système mis au point par la Région Nord-Picardie : un "kit" de plantation d'une centaine d'arbres fruitiers, le tout revenant à 0,85 centimes d'euro du plant. C'est du sérieux, entre les "chaussettes" , les piquets, le feutre biodégradable, le "pralin" (eau+bouse de vache, excellent fertilisant), les petits arbres devraient se sentir le mieux possible...

 

Evidemment, je n'ai pu résister, j'ai mis un peu les mains à la pâte. Normalement, je devais jouer l'assistante cinéma de Clopin, et ne toucher à rien. Mais il y avait là B., l'ingénieure écologue que j'aime bien, et puis G., la propriétaire de la parcelle, qui parlait si bien de ses arbres et de ses projets : tant pis pour ma petite veste de velours, qui n'était certes pas faite pour ça, j'ai retroussé mes manches et me suis mise au boulot.

 

Eh bien, on retire une satisfaction vraiment profonde à planter des arbres. Même dans un pré argileux, humide et venté. On était bien, là, toutes les trois, à bavarder gaiement tout en faisant bien attention à ce que l'on faisait. Nous avons planté des pommiers de "reine de reinettes", et en fait, nous en étions nous-mêmes, des reines de reinettes ! Les hommes, affectés à la haie, passaient en nous rappelant que nous étions le 8 mars, journée internationale des femmes : je précisais à chaque fois "journée internationale des DROITS des femmes", ce qui n'est pas tout-à-fait la même chose, n'est-ce pas (*). Et je rappelais que, selon toute vraisemblance archéologique, ce sont des femmes qui ont inventé l'agriculture...

 

(*) : j'ai eu un chef qui, le 8 mars, offrait à ses collègues féminines des roses. C'aurait pu être une bonne intention, en fait c'était assez macho. Ce chef était un vrai gros con, façon Jcé tenez, et en plus c'était un butor. Il avait mal calculé le nombre de roses : il en manquait une. Ce n'est pas grave, a dit ce gros con, il y a deux femmes de ménage dans le service, elles se partageront une seule rose, des femmes de ménage n'est-ce pas... Du coup, j'ai été offrir ma rose à la femme de ménage "qui ne comptait pas"...

 

Bon, si c'est ça tout le tournage, il va falloir que je prenne mes dispositions. Déjà, m'adapter, changer de tenue. On ne tourne pas "des racines et des haies" en petit blouson velouté !!!

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