Ce n'était pas Waterloo, non, mais tout de même, dans ce tout jeune matin de dimanche, il y avait comme du découragement dans l'air : du dégonflage, ou plutôt du non-gonflage. Une fois de plus, la montgolfière nécessaire au tournage "des Racines et des Haies" était indisponible, comme je le raconte sur le site, Il y avait des risques de rafale de vent, et Mister Montgolfière est bien trop prudent pour nous faire courir le moindre danger. Les copains qui s'étaient mobilisés, levés fort tôt et pleins d'énergie, sont repartis bredouilles. Nous nous sentions à la fois gênés vis-à-vis d'eux, et surtout dépités.
Ce projet de prise de vue aérienne date du printemps dernier, et il n'y a pas eu moyen de le concrétiser. Depuis de trop longues semaines, nous "attendons notre tour", sans que jamais il ne vienne. Et pourtant, j'y vois, moi, comme une sorte de synthèse de notre projet. Une parfaite adéquation entre le contenant et le contenu : un moyen idéal de parler du bocage...
Songez qu'une Montgolfière, c'est, certes, une nacelle (fort lourde : 700 kilos) et une enveloppe (fort respectable elle aussi : dans les 250 kilos), mais si vous y réfléchissez, ce n'est pas le ballon qui transporte les 16 personnes de la plus grande nacelle de Mister Montgolfière : c'est l'air, donc quelque chose de si invisible, évanescent et léger qu'on peut parfaitement, par licence poétique et émerveillement devant les lois de la physique, le traiter d'évaporé. Ce qui bien entendu m'enchante ! Moi dont la lourdeur physique s'accompagne d'une incorrigible propension à la divagation de l'esprit, dont les idées sans cesse tentent d'échapper à la pesanteur du quotidien, qui ne suis pas sérieuse en un mot, l'idée d'ainsi "m'envoyer en l'air" ne pouvait que me soulever d'enthousiasme...
Et puis le rythme lent de la montgolfière, son altitude raisonnable, le silence qui s'instaure entre deux allumages de gaz, l'osier de sa nacelle, le tissu de son enveloppe, sa tranquillité en quelque sorte : tout ici est d'une humanité à portée de main, d'une simplicité et d'un génie maîtrisables par tous, qui correspond si parfaitement au bocage, tout entier issu, lui aussi, d'un génie humain qui allie le "bien faire" avec le "peu". Sans compter qu'à part un peu de gaz, et une logistique certes conséquente (un énorme 4x4, un plateau, un gros véhicule pour rapatrier les voyageurs) mais si minime au regard de n'importe quel avion, la montgolfière ne laisse aucune trace de son passage. Pas même une ligne blanche sur le ciel bleu de Bray... Adéquation entre le fond et la forme, vous dis-je !
Nous nous apprêtions à annoncer, la queue basse, à ceux qui ont cru en nous au point de se mobiliser, notre échec : Mister Montgolfière ne vole plus, à compter du 15 octobre. C'était donc fini...
A moins d'un rebondissement, bien sûr.
A moins...
A moins que...
A moins qu'à 16 heures, Mister Montgolfière ne rappelle la petite équipe de Beaubec Productions : il ne pouvait nous fournir le "petit" ballon prévu pour les 8 agités du bocage, mais si nous étions prêts, il y avait des désistements pour le vol du soir. 4 places, pas une de plus, étaient à notre diposition.
Le temps d'appeler Béatrice, l'ingénieure écologue qui devait commenter du haut de la nacelle la canopée des haies, le temps de rallumer notre enthousiasme, comme Mister Montgolfière ses torchères à gaz, et nous voilà partis !
(caméra "embedded")
La nacelle du Ballon est disposée comme un casier à bouteilles, quatre passagers par case. Certes, avec le matériel de Clopin, notre case, déjà petite, était quelque peu encombrée. Mais qu'importe : le vol fut un émerveillement, de bout en bout. Comme je le pensais, la lente dérivation du Ballon "correspondait", en quelque sorte, aux courbes douces de Bray, à cette marquetterie du Bocage qui s'étendait paisiblement en-dessous de nous. Et quand Mister Montgolfière, (dont le moins qu'on puisse dire est qu'il maîtrise son sujet), nous a fait raser un champ de maïs avant de reprendre un peu de hauteur avant l'atterrissage final, là nous étions tous devenus aussi légers et ondoyants que l'air qui nous emportait, que les plantes que nous caressions presque...
(le Bocage)
(le Mont de Sigy et son "fer à cheval")
(une longère...mais pas la nôtre...)
Que du bonheur.
(ne pas laisser de traces...)
A part, bien sûr, la toute petite ombre au tableau : notre projet d'un vol "rien que" pour 8 d'entre nous, et le décollage du "Plix " (pour correspondre à notre plan-terrier), n'avaient pas, eux, abouti. Qu'à cela ne tienne : comme, de toute façon, le film ne tiendra pas ses échéances pour cette année, qui nous empêche d'organiser un second tournage, au printemps prochain ? Au mois de mai, tenez, quand les pommiers mettent leurs robes de mariées, et que le colza, en fleurs, fait éclater son jaune d'oeuf, son jaune mimosa, sur le vert des cultures ?
Un grand merci à tous, et à l'année prochaine, promis !
(vous avez dit "collectif" ?)