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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 11:03

Je me souviens parfaitement du premier livre que j'ai  (r)ouvert, et surtout que j'ai pu lire, vers le mois de mars. C'était la Cousine Bette de Balzac, j'avais gardé le souvenir d'une lecture adolescente et je voulais vérifier si la description du débauché Hulot ressemblait à la trajectoire de Dominique (nique nique) Strauss-Khan : j'avais raison, la pathologie était bien la même.

 

Je renaquis ainsi à la lecture : premier (bon) signe depuis une année environ, et Balzac m'y a bien aidée. Clopin ne comprenait pas. Pourquoi ne lire que Balzac ? Il s'impatientait en me voyant toujours au lit, barricadée derrière une pile de romans Honorés : mais  l'acidité balzacienne, reléguant  Dante au rang de naïf  pour laisser la place à  une Comédie Humaine qui n'a plus rien de divin, pouvait seule remettre en route mon identité de lectrice. Et je cherchais dans les pages de Ferragus ou de la fille aux yeux d'or une sorte de réponse à mon état labyrinthique...

 

J'arrivais ainsi à échapper aux soucis et remords : remords de n'avoir plus la force de m'occuper de Jim, à cause de l'avidité de son regard qui me submergeait, soucis professionnels qui me conduisaient à me syndiquer, envisager de porter plainte et à admettre que oui, j'avais été harcelée pendant des années, ce qu'une partie de moi refusait d'avouer. La drôle d'anorexie que je subissais, étonnée et effrayée,  avait abouti à la négation complète de la souffrance, de toutes les souffrances. Je ne sais toujours pas, par exemple, comment j'ai pu marcher,  monter et descendre les escaliers, plus de  6 semaines alors que l'os de mon péroné était cassé en deux, ce qui a fait tomber de l'armoire les chirurgiens... . Je ne sais pas non plus comment je suis arrivée à articuler quelques mots devant la tombe de mon beau-père, pendant que ma belle-mère (85 ans de névrose grave et non soignée, ce qui l'absout mais ne la rend pas plus facile à vivre) agressait l'employé des pompes funèbres. J'avais aussi à faire face à la baisse de mes revenus, étant passée à demi-traitement, aux expertises et contre-expertises psychiatriques, et au départ de la maison de Clopinou.

 

Car ce dernier était parti en prépa à Paris, et ne revenait plus qu'aux grandes vacances. Il changeait, en mieux, mais du même coup le rôle que j'avais joué pendant dix huit ans n'était plus de mise. Je suis sûre que toutes les mères ont ressenti cette drôle de contradiction. Comme si on enlevait de votre dos une charge que vous aviez jusque là portée , mais que vous n'arriviez pas à vous redresser pour autant. J'ai accompagné Clopinou le plus loin que j'ai pu, et l'obtention de son baccalauréat, (accouché dans la douleur, car Clopinou jouait au dandy désinvolte, ce qui lui a joué bien des tours), l'évidence de ses grandes capacités intellectuelles (elles sautent aux yeux) représentaient le point final de ma tâche éducative. Je l'ai vraiment ressenti comme cela, avec un mélange de soulagement, puisque Clopinou est dorénavant seul maître à son propre bord, et comme un vide à combler désormais, alors même que je flottais telle une algue coupée. On appelle cela "la vie", qu'on accompagne du verbe "être". Je ne suis pas sûre de l'exactitude de cette affirmation !

 

 

J'ai donc ressuscité grâce à Balzac... Mais j'ai mis encore quelques très longues semaines  avant de supporter une quelconquenote de  musique, et la seule dont j'avais envie était bien évidemment Monteverdi. Là encore, le pauvre Clopin a dû subir, car il est très loin de cette ambiance : mais enfin, c'était encore un signe de guérison ! Et puis il n'avait qu'à ne pas m'épouser, d'abord. Est-ce qu'on épouse une fille qui a largement  dépassé la cinquantaine, je vous  le demande un peu ? Clopin aurait préféré que la chose ne se sût point, la cachant même à ses fils... Mais enfin, c'était une telle formalité, une signature, deux témoins, et dix minutes à la Mairie : pas de quoi en faire un péché, certes !  Encore maintenant, je n'arrive pas du tout à croire que je suis mariée. Cela me va comme un tablier à une vache ! Enfin, il paraît que c'était nécessaire...

 

Quant au pauvre Jim, je pense  retourner le voir bientôt. Je ne pouvais tout simplement plus faire face à l'avidité de ce regard perdu, et une autre amie de JIm  a, en quelque sorte, "pris le relais" : certes, cela n'a pas dû être toujours très agréable pour son frère-curateur, je me souviens d'une réunion avec les services sociaux à laquelle j'ai assisté en zombie, l'automne dernier, et où régnait de façon sournoise comme une atmosphère de procès larvé... Quant à l'amie de Jim, elle s'est carrément mise en colère et ne veut plus me parler (!) Bon, il est vrai que la famille de Jim surmonte les difficultés de la vie en les minimisant ; mais  si  le frère de Jim a mis du temps, enfin il me semble, à prendre la mesure du naufrage, il fait néanmoins face, et il est le seul !!! En tout cas, le bien-être de mon malheureux ami est amélioré. Il va deux fois par semaine à l'EPAD qui sera sans doute, vraisemblablement, son dernier refuge (le plus tard possible, c'est  notre souhait à tous) , et l'absence de Mehdi à ses côtés cet été, puisque ce dernier   part au Maroc trois semaines,   est d'ores et déjà organisée : Jim ira à l'EPAD pendant ce temps. Les choses se sont donc éclaircies de ce côté Avec Philippe, un autre ami, nous pensons l'équiper d'un radio-cassette qui lui permettra peut-être d'échapper  à la terrible bouillie musicale que, dans ce genre d'établissement, des hauts-parleurs vomissent dans les couloirs et qui s'insinue jusque dans les chambres. Je n'arrivais, l'hiver dernier, en rendant visite à mon beau-père, à échapper à cette punition supplémentaire qu'en fermant soigneusement la porte de sa chambre. Mais je ne pouvais échapper à l'odeur spécifique qui vous marque à jamais : ce mélange de soupe de légumes trop cuite et de désinfectant, qui imprègne les lieux où se finissent les vies humaines.

 

Je continuerai à renouer le fil de ma vie interrompue demain. En attendant, merci à ceux qui me font signe sur facebook, et spécialement à Jacques Chesnel, qui est (le sait-il seulement ?) le bienvenu chez Clopine Trouillefou...

 

 

 

 

 

 

 

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