Aïe. Il m'est difficile de le reconnaître, mais là je vais avoir du mal à me disculper à mes propres yeux.
D'habitude, c'est bien facile, bien commode : j'accuse les autres... Si je n'avance pas plus que cela dans mes projets, c'est bien entendu à cause de cette satanée vie quotidienne, qui m'astreint au travail, au ménage, à l'intendance et à la cuisine, plus à l'attention donnée à celui-ci ou réclamée par celui-là. Si mon carnet de travail repose bien tranquillement sur mon bureau, vierge de toute ouverture, CE N'EST DONC PAS MA FAUTE. Et je peux oublier tranquillement la liste de mes projets classée en trois catégories :
- "au pied de la porte " (pour les trucs urgents),
- "au bout du quai" (pour le moyen terme)
- et "à l'entrée du cimetière" (pour les projets chimériques mais néanmoins à envisager avant ma mort).
Sauf que là, j'étais seule, n'est-ce pas. Seule, et avec une immense plage de temps devant moi. Un sablier à la taille de la baie des Veys. Une clepsydre contenant tous les lacs de Forges-les-Eaux. Aucune excuse pour ne pas avoir - au moins - biffé deux lignes de la catégorie "au pied de la porte", n'est-ce pas ?
Et puis voilà. Le sablier et la clepsydre, je ne sais même pas comment, ne contiennent plus chacun qu'un quart environ de leur contenu. Et je n'ai rien foutu. Rien :
- je n'ai pas, contrairement ce que je m'étais engagée à faire, établi la comptabilité de l'association "Beaubec Productions" de l'année 2010, alors que le facteur m'a gentiment apporté ce matin même la feuille d'imposition à remplir, me rappelant brutalement à mes devoirs.... Or, il me faut établir un compte administratif, un grand journal, des notes de frais et un bilan financier. Techniquement, c'est facile à faire. Mais voilà : je ne connais la version d'excel que sous word, et il faudrait que je me farcisse excel sous Mac, ce qui me fatigue d'avance...
- je n'ai pas non plus, lâchement, sélectionné des textes pour les amis qui m'ont demandé de participer à une randonnée avec pauses littéraires. Savez-vous ce que j'ai fait ? J'ai honteusement triché. Snif. J'ai demandé (et reçu) de l'aide à Jacques Barozzi, écrivain rencontré chez Assouline, et qui publie de délicieux petits livres déclinant des thèmes comme le jardin, le cinéma, le café même, en les illustrant de morceaux littéraires. J'ai donc juste repéré dans son "goût de la marche" les passages qui serviront à distraire mes amis, lors de leur prochaine randonnée pédestre, culinaire et culturelle. Bien sûr, j'ai trouvé tout ce qu'il me fallait chez Jacques. Mais le remords, hein, le remords...
- je n'ai même pas encore lu en entier les articles dont je suis chargée de faire un résumé synthétique, pour le bulletin de l'association de défense de l'environnement à laquelle je suis sensée adhérer. Je dis bien "sensée", parce que le militantisme et moi, ça fait deux, n'est-ce pas. M'enfin, rédiger une synthèse, normalement je sais vous faire ça vite fait bien fait, un doigt dans le nez et un pied en l'air, et avec ça Meudame ça sera quoi ? Donc, rédiger un papier sur les méfaits de l'extraction du gaz de schiste, ça ne devrait pas me prendre plus de quelques grains de sable, quelques gouttes d'eau quoi.
Alors, je vous pose la question. Pourquoi, mais pourquoi donc n'ai-je pas trouvé le moyen de faire autre chose que d' enjamber le tas de trucs déposés "au pied de la porte", en faisant mine de ne pas le voir ?
Et les paquets du "bout du quai", mmmh ? Par exemple, ECRIRE LE TITRE DES CHAPITRES DES VIES DE JIM, au lieu de les composer mentalement dans mon lit le soir et de les oublier le lendemain matin en me réveillant... - vous entendez bien, je ne parle pas de commencer à écrire le livre, non, ou même de noter de ci de là les phrases qui me viennent à ce sujet, juste dresser une liste (une de plus...). Même pas foutue de le faire...
Quant à ce qui m'attend "à l'entrée du cimetière", alors là j'ai comme un rire nerveux qui me gagne. Parce que, si j'ai beau jeu d'accuser les autres, ces infernaux, et la vie, si quotidienne, je sais bien au fond de moi qu'il serait plus important que je m'occupe de ce que j'ai déposé là-bas, plutôt que de récurer le frigo en râlant "parce que Clopin ne ne le fait jamais". Pour de vrai, je choisis sciemment de nettoyer un frigo qui ne m'a rien demandé - ça me permet de prétendre que je ne suis pas paresseuse...
Bon, et pour finir, il y a en plus les invitations, auxquelles je ne sais pas dire non. Je louvoie, tergiverse, essaie de faire comprendre que non, ça ne me fait rien de rester seule au contraire, que j'en profite pour "faire des tas de trucs" (mais lesquels, bon dieu, lesquels ????) et que oui, ça serait gentil de se voir mais peut-être pas maintenant... Je n'y arrive pas. C'est une loi de la vie : y'a toujours des nuisibles qui, armés de leur bon sentiment pour vous, viennent se taper l'incruste, parce qu'ils n'arrivent pas à imaginer la solitude comme autre chose qu'un châtiment divin qui vous tombe dessus et qu'ils vous plaignent secrètement... Et en plus, le remords vous accable encore, d'avoir tant envie de les envoyer au diable ... Parce que cette dernière phrase "des nuisibles qui viennent se taper l'incruste", franchement, j'en ai honte...
Et pendant ce temps-là, et ce temps-ci, où je viens déverser mon désarroi sur ce blog qui ne m'a rien demandé non plus, les gouttes tombent, et les grains glissent.
Et si je perçais la clepsydre, et laissais malencontreusement tomber le sablier ???
L’EAU DOUCE (la vie en Bray)
Bien loin de l’île de Corfou
Plus doux que l’andalou sauvage
Sans les rivages des Vanuatu
Ni les danses des Lotophages
Où es-tu, mon pays sage
Que nul ne connaît vraiment
A part trois noms et deux villages
A deux pas de Paris, pourtant
Tu sembles las comme un visage
D’aïeul ayant tant vécu
Collines douces sentes herbues
Aulnes et frênes éperdus
Quand une feuille ride le ru
Là, le lait le miel coulent tant
Qu’on se croirait à Canaan
Mais si le ciel s'y repose
C’est qu’il y pleut, ma foi, souvent
Le Pays de Bray est une mousse
Que l’eau mille fois éclabousse
Mais c’est pour toi, mon pays sage
Que je demeure fille d’eau douce
Et ce qui me fait plaisir, c'est que l'auteur du Roseau Penchant me dit bien connaître ce pays, et s'y être promené souvent.
Par ici, ou par là, pourquoi pas ?
Ce genre de petite aventure plaisante compense bien des aspects déplaisants du web. Et m'incite à poursuivre mes divagations...
Clopine
(*) : sans vouloir trop évoquer ma vie professionnelle, sachez cependant que je suis capable de suivre une formation très sérieuse, et demandant pas mal d'efforts, avec de longs déplacements, pendant une année entière. Tout cela pour passer un concours dont la date était marquée en rouge dans mon agenda. La date du concours, n'est-ce pas... Mais pas la date limite du dépôt du dossier d'inscription (une simple formalité), que j'ai bien entendu joyeusement laissé passer... Reculant ainsi, pour mieux sauter, de quelques trois années l'épreuve fatidique...