Aïe ! Le prof de philo, qui jusqu'ici avait une sacrée cote aux yeux du jeune homme nommé Clopinou, vient d'un seul coup d'un seul de déchoir, à savoir qu'il a un peu désespéré Billancourt, dirons-nous.
Ca a déclenché une assez jolie tempête dans un verre d'eau, avec un Clopinou qui me brandissait sa copie sous le nez, mi-vexé comme un pou, mi-abattu.
En fait, d'après ce que j'ai compris, le prof a noté toute la classe, comme un seul homme, entre 10 et 13. Clopinou, habitué à caracoler en tête, s'est retrouvé ainsi dans le peloton. Le premier du peloton, certes, avec son 13. Mais dans le peloton quand même. Or, il est plutôt habitué aux échappées...
Perso (mais chut, faut pas le dire), je savais bien qu'un jour ou l'autre, dans les études ou dans les amours, on se prend des râteaux, et qu'il faut savoir les surmonter. Mais je ne peux le faire à la place du Clopinou, qui, marchant de long en large, ressassait son dépit.
Il gémissait : "tu te rends compte, j'ai mis mon maximum et je n'ai qu'un point de plus que X, qu'est une grosse nulle de chez nulle". "ça sert à quoi, que j'ai fini sur une super citation de Rabelais, alors que X elle a raconté un truc minable sur les "S" qui devraient être en "L" et même que j'avais parlé de la subjectivité et que je suis sûr que X elle ne sait même pas ce que ça veut dire et le prof il a même pas VU que j'avais soigné les phrases, et que ça coulait bien et que j'avais déroulé un raisonnement mais alors ça sert à quoi de se casser le cul si le prof il le voit même pas ?"
Il s'accablait : "En plus j'étais à mon maximum je te jure j'étais vraiment à mon maximum et le texte je l'avais parfaitement compris et le prof il me note que je l'ai juste "assez bien appréhendé" assez bien tu te rends compte "assez bien" ! et il est sincère le mec ça veut dire qu'à ses yeux je ne suis 'qu'assez bien" quand je donne tout... Alors si c'est comme ça j'ai vraiment aucune chance d'y arriver et donc ma vie elle est foutue là. (comprenez : je n'aurai jamais 17 de moyenne générale au premier trimestre...)
Il se révoltait : "Mais qu'est-ce que c'est que cette matière à la con où les profs ils notent comme ils veulent y'a même pas de barème on croit rêver là on ne sait même pas sur quoi ils jugent parce que pour mettre 12 à X faut vraiment avoir de la merde dans les yeux X son rêve c'est de passer à la Star'ac et sa moyenne gé l'an dernier c'était 8 et elle fait vingt fautes d'orthographe par mot, alors tu vois de toute manière dans ces conditions ça veut dire que je ne comprendrai jamais rien à la philo et c'est tout "
Il me mettait dans le coup : "Quant à toi si tu crois que je ne le savais pas que tu voulais que j'aime la philo ben autant te dire que tes rêves bleus de me voir prof de philo tu peux carrément les oublier et t'asseoir dessus moelleux hein, parce que 13 seulement alors que je me suis déchiré ben c'est honteux ou alors je suis un con, voilà je suis un con, et d'abord je ne me casserai plus jamais le cul pour une matière aussi débile et tu m'as carrément menti en me disant que ça allait être le pied et la philo ça sert à rien qu'à baisser les notes et voilà."
J'ai pris ça avec calme. N'avasi-je pas pressenti le coup arriver ? Ici même, certains de mes visiteurs, pleins de bienveillance, n'avaient-ils pas tenté de pondérer mon enthousiasme, en me remettant gentiment à ma place ? Le prof de Clopinou, tout bêtement, n'avait-il pas fait exactement de même ? X avait fait l'effort de trouver des exemples dans sa vie quotidienne, X avait "pensé par soi-même", Clopinou avait étalé de la culture générale : le prof en avait certainement tenu compte. Et puis il ne voulait décourager personne, c'est pour ça que les notes étaient très rapprochées, et on ne POUVAIT PAS avoir une excellente note en tout début d'année voyons. Et même si dans l'autre terminale ES il y en avait une qui avait eu 15, ça ne voulait pas dire que son 13 à lui était nul à chier, enfin, voyons, voyons. Et puis une classe de terminale S, j'en étais désolée mais c'était la vérité, ben pour un prof de philo c'était... un peloton, un peloton ignorant qu'il fallait entraîner pour le Tourmalet et, qu'il le veuille ou non, Clopinou allait devoir en passer par un peu d'humilité (ce qui, pensais-je in petto, ne pourrait pas trop lui faire de mal...). Peut-être, tout simplement, le prof avait-il vu ce qui était un peu vrai : à savoir que le Clopinou se la pétait un peu ?
Clopinou a enfin mis son dépit à feu doux, et pris une résolution. IL "tenterait encore le coup" (à savoir, il mettrait toute son énergie et toute son intelligence en oeuvre) pour le second devoir. Mais si le prof persistait à ne pas le trouver à la hauteur, eh bien... Adieu, veaux, vaches, cochons, couvées. Il "ferait de la merde", c'est-à-dire qu'il n'en ferait pas plus que X, hein, "en dix minutes il te torcherait ça" et basta. De toute manière, la philo, dans ces conditions....
(et c'était reparti pour un tour, et patali, et patala).
Bon, j'ai sauvé les fiches, même si P. trouve qu'elles ne valent pas un pet de lapin, j'ai été commander "introduction à la philosophie" de Karl Jaspers sur internet, je laisse Clopinou se démerder... Mais j'irai quand même allumer un cierge (virtuel) à Sainte Rita, quand le rendu du deuxième devoir va arriver.
Et puis quoi ? Y'a d'autres boulots que prof de philo dans la vie, pas vrai ?