C'était donc le lundi de Pâques, à Beaubec. Bon, les enfants sont maintenant trop grands pour les chasses aux oeufs (ouf, parce c'était struggle for life là-dedans, généralement le plus petit rentrait bredouille et en pleurs, les autres avaient tout raflé avant lui), mais nous trouvons néanmoins quelques autres motifs de réjouissance.
Ce matin-là, il s'agissait de sortir de la maison, pour l'entreposer dans le hangar trente mètres plus loin, la vieille cuisinière "Gatine", un monstre de quelques 350 kilos avec bouilleur en fonte et fort peu d'angles de prise. Quand je suis arrivée, quatre grands costauds s'affairaient là autour. Ils avaient déjà renoncé à faire ripper la chose sur le carrelage, et à remonter l'allée empierrée du jardin. Tout juste pouvaient-ils, en unissant leurs forces, soulever de quelques millimètres la bête, pour la poser sur des rouleaux eux-mêmes posés sur des bastaings posés au sol, en parallèle, et avancer ainsi, centimètre par centimètre... Trente mètres, ça fait long avec cette méthode...
Si vous ne visualisez pas la scène, c'est très simple. Pensez à tous ces moments glorieux où, partout dans le monde, nos andouilles d'ancêtres ont entrepris de déplacer des choses très lourdes d'un endroit à un autre, pour des motifs particulièrement constestables et d'ailleurs inconnus, se groupant à plusieurs gros costauds et suant considérablement, d'abord sous l'effort physique, ensuite pour trouver la meilleure méthode pour faire avancer la chose, en l'occurrence ça pouvait être une pierre qu'il s'agirait de lever, la statue d un dieu, un obélisque, ou tout simplement une p... de b... de m... de Gatine.
Je fus même convoquée à la manoeuvre. Sans doute parce que j'avais évoqué devant eux, en riant finement, la plaisante coïncidence entre la date précise de nos menus travaux et les voyages terrestres des statues de l'île de Pâques, l'un des costauds, Clopin pour ne pas le nommer, me fit aimablement remarquer qu'au moins, dans ces temps-là, toute la tribu s'y mettait, ELLE...
J'émis quelques doutes scientifiques. Il aurait bien entendu fallu vérifier auprès des sommités anthropologiques de l'Université pour avoir une certitude, m'enfin, si les costauds trimballaient les Moaïs, ( ça c'était sûr), mo(a)i je privilégiais la thèse audacieuse que, pendant ce temps-là, les Pascalines se rassemblaient simplement sur le côté de la route, poussaient de grands "ah" et "oh" histoire de prouver leur admiration devant les pectoraux qui passaient, préparaient l'apéro pour quand ce serait fini, priaient un certain nombre de dieux, dont le Docteur Pelloux du Grand Chiffre Sacré du 112, pour que ça se passe bien, et bornaient là leur contribution.
Mais on me dit d'arrêter mes spéculations intellectuelles, de me souvenir fissa qu'une féministe était plutôt pour le partage égalitaire des tâches ménagères, et de venir aider à déplacer ces s.... de p.... de M... de rouleaux (de printemps), qui pétaient les uns après les autres. Je le fis de bonne grâce, et de toute manière, quand je poussais ou tirais la chose, il ne se passait absolument rien de plus que quand les quatre costauds le faisaient tout seuls. Sauf que l'ambiance changea légèrement. Disons que bizarrement, l'atmosphère plutôt virile qui régnait jusque là se teinta d'un doigt de grivoiserie. On entendait Clopin s'exclamer sans arrêt ": "Clopine, mets-la à fond, à fond je te dis ! ", ou encore : "Clopine, viens-là, et attrape-moi les rouleaux". Quand on en arriva à : "Clopine, oh, tiens-le bien"... les trois autres costauds commencèrent à me regarder du coin d'un oeil rigolard...
Bon, je ne suis pas prude à l'excès, c'est le moins que l'on puisse dire, et je n'ai jamais craché sur le morceau de saucisse de Morteau qu'on pouvait mettre dans mon assiette.. Mais, l'avouerais-je ? Je préfère quand c'est Guesh Patti qui chante, hein !