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15 janvier 2014 3 15 /01 /janvier /2014 11:00

J'ai envie de parler du livre de François Bon sur Proust : "Proust est une fiction", éditions du Seuil, 20,50 euros. Accrochez-vous, ça risque d'être long. 

 

Non que je me prenne pour une "critique littéraire" (avec tout ce que ces termes portent d'ambigu). Ce n'est pas non plus que j'ai rencontré "dans la vraie vie" -une conférence sur son précédent livre, "autobiographie des objets" - François Bon, et que, pour une fois, je n'ai pas été déçue de traverser le miroir : F.Bon a été chaleureux à mon égard, et sa sincérité ne pouvait être mise en doute, j'étais bien contente...

 

Mais si j'ai envie d'en parler, c'est d'abord que je m'en suis nourrie ces derniers jours, et surtout qu'il  s'est agi là d'une sorte de faisceau de coïncidences plus ou moins troublantes.

 

Avant tout, je dois me dépêcher de poser mes questions, et d'apporter mes réponses, à ceux qui pourraient devenir les lecteurs de cet ouvrage.

 

Donc, commençons par "QUI" ? Qui peut lire le livre de Bon, et en tirer profit ?

 

La réponse est évidente. Il faut être soi-même lecteur de Proust, pour trouver un intérêt à ce livre. Vous pouvez me demander s'il n'est pas, justement,  une passerelle tendue vers ceux qui n'ont pas encore abordé la Recherche, en leur facilitant les premiers pas ?

 

NON. Je suis catégorique. Certes, Bon, dans chacune de ses, comment dire ? "pastilles" ? "notules" ? voire "digressions", pourquoi pas ? prend soin de citer intégralement les passages sur lesquels il s'appuie. Mais il les relie aux autres références du livre : quelqu'un qui ignorerait tout de la Duchesse de Guermantes, de Sidonie Verdurin et de Palamède de Charlus serait inévitablement perdu.

 

Maintenant, regardons un peu COMMENT le bouquin est fait.

 

Sa forme est identique d'un bout à l'autre : 100 "chapitres", titrés de phrases tirées de la Recherche ou de la correspondance de M. Proust, sous-titrés par Bon qui les "situe" brièvement dans leur fonction ou leur place.

 

Mais le contenu diffère notablement d'un chapitre à l'autre. J'en ai repéré de trois sortes :

 

 1, des analyses de passages de la Recherche, soit sous forme d'inventaire (les occurrences de certains termes et de certains thèmes), soit sous forme littéraire (la construction du récit proustien), soit sous forme de résonances (la lecture et les choix particuliers de Bon)

 

2, de ce que je ne peux appeler autrement que des divagations : des recréations de rencontres impossibles, de petites scènes inventées, des dialogues recréés

 

3, des rappels d'autres écrivains ou critiques de Proust. Beckett, Koltès, etc.

 

Quant au style de l'ouvrage, il est éminément "bondien". A savoir que  l'inventaire, la liste, le classement, sont  un point d'appui fréquent chez François Bon, ce qui le classe tout de suite du côté des oulipiens, qui demandent à la contrainte de leur ouvrir l'imagination. On sent bien  le scientifique, et cela a un petit côté appliqué, comme un élève qui souligne proprement les titres et les sous-titres de ses leçons, dans ses cahiers.

 

Il m'a paru que dans ce livre-ci, le style prenait tour à tour deux directions : d'une part, l'imbibation proustienne amenait l'auteur à "faire du Proust", c'est-à-dire à commenter les passages en adoptant (consciemment ou non ? Va savoir...) le phrasé et la scansion proustienne. Et puis il y a du Bon 100%, c'est-à-dire du solide, du dru, du logique, et parfois un peu de maladresse. Je ne trouve pas très "jolie" une phrase comme celle-ci, par exemple :

(après une citation de Proust, deux points qui demanderaient une minuscule, mais la phrase de Bon commence par une majuscule, raté !)

"..." : Cette phrase-là aussi, longtemps que je la sais par coeur  : elle est pour moi l'image même des villes (...). Et que c'est une indication (...). Et que la même phrase on peut la prolonger encore."

 

Je trouve les élisions, qui sont ici au service de la rapidité de la pensée, peu charitables pour l'oreille interne du lecteur, et ces "Et que" fort peu euphoniques. Mais il s'agit ici, à mon avis, d'une sorte de modestie chez l'auteur, qui cherche devant ses lecteurs à aller au plus vite. Alors je passe outre, de bon coeur.

 

Par contre, une chose épatante dans ce livre, et qui fait la transition du "Comment" au "Pourquoi", est le choix des passages de la Recherche. François Bon ne s'attarde pas sur les "morceaux de bravoure" les plus connus, comme l'aquarium de la salle à manger du Grand Hôtel de Balbec, la métaphore de la plante à féconder qui soutient la découverte de l'homosexualité de Charlus, l'image des paysans laboureurs  pour décrire un paysage marin, les multiples références à la mythologie pour camper une scène ou des personnages, comme les duchesses dans leur baignoire à l'opéra, le voyeurisme du Narrateur à Montjouvain, etc. Non. François Bon, se ressemblant à lui-même, convoque d'abord, principalement, les termes techniques dans la Recherche et démonte la façon dont Proust rend compte des progrès techniques, de leur utilisation, de leurs conséquences au tournant du siècle : ascenseur, téléphone, électricité, aéroplane, appareils photo... Ce qui donne une drôle de "couleur" à son évocation proustienne, car du coup, les passages cités ne sont certes pas les plus connus.

 

Son autre propos est le démontage de la mécanique, des thèmes et de la construction de la Recherche. Là encore je trouve Bon pertinent et honnête, car son admiration évidente pour l'oeuvre et l'auteur de génie ne le conduit pas à une acceptation bêlante du livre. Il souligne fort justement son "inachèvement", qu'il justifie en se servant des arguments même de Proust. Il introduit une graduation entre certains passages, voire certaines phrases de Proust, moins bien réussies que d'autres.

 

Et surtout, et là je craque complètement, François Bon, qui nous dit beaucoup de lui en parlant de Proust, nous parle aussi de nous-mêmes, je veux dire tous les lecteurs de la Recherche présents, passés et futurs. Et ce qu'il nous en dit, "POURQUOI" il a fait ce livre, est juste.

 

Perso, j'ai toujours remarqué qu'une des caractéristiques des lecteurs de Marcel Proust, c'est que chacun d'entre eux se souvient parfaitement du jour où il a commencé à lire la Recherche. Non seulement nous nous souvenons du moment précis où nous avons été "embarqués", mais encore nous éprouvons le besoin de le dire ! Et chacun de faire ce que Bon appelle "malaxer" notre lecture : troublés que nous sommes par l'énormité de l'oeuvre, nous essayons de nous l'approprier, soit en la relisant toujours, soit en tentant de classer ses thèmes, soit en divagant devant (ça c'est plutôt bibi), etc. Tenez, le "foudeProust", lui, a retrouvé les images de chaque oeuvre d'art évoquée par Proust, et il est en train d'écrire un livre dont le héros serait capable de réciter par coeur toute la Recherche, ce que Proust lui-même aurait été  bien incapable de faire...

 

Du coup, le lecteur proustien qui a suivi Bon se sent pris dans une sorte de "fraternité" avec lui. Quelque chose qui relèverait d'une franc-maçonnerie de la Recherche. Un club privilégié, où chacun des membres possède sa propre clé.

 

Evidemment, je ne suis pas d'accord avec Bon sur tout. Quand il analyse le passage des poiriers en fleurs, il oublie de dire ce que j'ai, moi, remarqué : à savoir que si le Narrateur s'attarde tant à les regarder, c'est aussi que cela lui évite de pénétrer chez Rachel, exilée à la campagne à cause de sa "ménagerie" insupportable. Le bestiaire proustien est à mon avis un échec, en ce sens que Proust n'analyse jamais notre rapport aux bêtes, comme une Colette le faisait par exemple.

 

Et puis je n'ai guère d'avis sur le "point de vue" général adopté par Bon. Si j'en crois certains avis recueillis chez Paul Edel ou Assouline, les biographies de Proust sont à classer dans deux grandes catégories : celles qui cherchent à démontrer le caractère autobiographique de la Recherche, comme le livre-somme  de Painter, ou celles qui, au contraire, soulignent le caractère entièrement "façonné" du livre, son irréalisme littéraire, comme l'explique Tadié. Bon pencherait plutôt pour la seconde famille, me semble-t-il (il faudrait lui demander).

 

Mais ce qui me rend proche de Bon, c'est quand il divague. Tout le livre comprend des scènettes imaginaires, des dialogues entre Baudelaire et Proust, placés là pour souligner une conviction de Bon : à savoir que Proust est l'héritier direct de Baudelaire, et qu'il a pillé les thèmes et les techniques de son aîné. D'où engueulades reconstituées par Bon. Il avance d'autres thèses divagantes, aussi. La probabilité d'un Proust fils naturel de Lautréamont enchante visiblement l'auteur... Sans prendre aucunement partie, je trouve que ces passages sont comme autant de petites clairières qui ponctuent la promenade touffue, sylvestre et arborée (pour parler comme Marcel), à laquelle "Proust est une fiction" nous convie. 

 

Maintenant, il faut que je vous révèle le "faisceau de coïncidences plus ou moins troublantes" qui m'amène à vous décortiquer comme cela ce livre.

 

Il y a quelques jours, et j'en ai fait état sur ce blog, j'ai décidé de reprendre une nouvelle fois la lecture de la Recherche, seule capable de me distraire de quelques soucis et craintes pour mon proche avenir. J'avais prêté mon vieux pléïade à mon jeune voisin. Je décidai donc, car mon vieux bouquin  me "manquait", d'offrir les deux premiers tomes, dans une autre édition, au jeune homme. Dans ce but, je filai à Rouen, à la FNAC. Et j'ai "couplé" cette sortie avec une visite au pauvre Jim, dans sa funèbre maison de retraite. Tellement funèbre que j'ai décidé, d'un coup, de prendre Jim sous mon bras (littéralement, il ne peut plus se déplacer seul) et d' aller à la Fnac avec lui. Incidemment, cela m'a permis, la conscience nette, de profiter des places handicapées du parking ! Bref.

 

Comme Jim était accroché à mon bras, je ne pouvais aller farfouiller seule dans les rayons : pas question de s'accroupir ou au contraire de se dresser sur la pointe des pieds, Jim ne peut être laissé seul même une seconde. J'ai donc patiemment attendu la disponibilité d'un vendeur, qui, rien qu'à la vue de Jim amarré à mes côtés, a de lui-même sauté hors de son poste de travail pour aller chercher les deux tomes de Proust.

 

J'étais donc debout quand le vendeur est revenu avec les livres  : et, en levant les yeux, j'ai vu le bouquin de Bon qui semblait m'appeler. Mon attention était attirée d'abord parce que le nom de l'auteur m'est familier, ensuite parce que le titre semblait faire exactement écho à mon achat...

 

Le cheminement à un livre est parfois curieusement amené, ne trouvez-vous pas ? Le nombre de coïncidences qu'il aura fallu pour que j'écrive ce billet si scandaleusement long est, enfin je trouve, particulèrement élevé !

 

 

 

 

 

 

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