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26 juillet 2012 4 26 /07 /juillet /2012 08:11

Oui, Talweg, vous avez raison : écrire "ahaha" devant le récit d'une visite, (et plus encore : le récit de notre première rencontre..), où le pauvre Jim tient le premier rôle,  peut sembler déplacé. Mais j'espère qu'avec les explications qui vont suivre, ce gros clin d'oeil, façon Groucho Marx, vous apparaîtra pour ce qu'il voulait être : un panneau indicateur.

 

Je vais tout expliquer, bien lentement, au risque d'être bien ennuyeuse (si vous êtes pressé, passez votre chemin, et pardonnez-moi !)  : peut-être  déplisserai-je, ainsi, le froncement des sourcils des visiteurs de ce blog, qui vont très certainement pousser quelques grognements. Or, le seul plissement que j'aimerais bien voir, ce serait celui de vos zigomatiques...

 

Cela remonte à loin, en fait. A la fin de l'enfance, quand une petite fille, prenant peu à peu (et dans mon cas cela a été particulièrement lent) conscience d'elle-même, s'aperçoit que le monde qui s'offre à sa curiosité  est aussi stéréotypé que le parfum des glaces à deux boules :  vanille pour les filles, chocolat pour les gars.


Pour moi, c'est l'innénarrable Hergé qui fut le Sarajevo de cette découverte : j'adorais ses albums,  mais  m'aperçus un jour, brusquement,  que le monde dont il rendait compte, des années trente aux années 1970, était à peu près vide de femmes. La Castafiore et sa bonne Irma exceptées, certes,  mais, malgré l'embonpoint de la première, cela ne pesait pas bien lourd face aux centaines de personnages que côtoyait Tintin. Cette pénible découverte me fut confirmée par la lecture de Edgar P. Jacobs, puis par celle de Jules Verne, et bientôt toute la littérature y passa...

Même dans les livres où l'on parlait des femmes, c'était toujours, toujours, le point de vue masculin qui s'exprimait, tantôt avec bienveillance, tantôt avec ardeur, parfois avec une haine qui dégouttait des pages comme le sang d'un oeil de lapin écorché. J'étais mûre, vous l'avez deviné, pour le féminisme. 

Et pourtant, j'aimais, j'aime toujours passionnément la littérature. 

Mais je n'arrivais pas à faire comprendre mon point de vue. Quand un Paul Edel plaçait le "lys dans la Vallée" au-dessus de toutes les autres études de femme , disons sociologiques,  chez  Balzac, je haussais le sourcil : la description passionnée, certes juste,  qui s'inscrit dans le Lys est cependant toute entière issue d'un  regard  masculin. Plus précisément : si les sentiments du héros sont admirablement traduits, ceux de l'héroïne sont curieusement forcés.

 Comme Eugénie Grandet, toute entière soutenue par l'axiome qui veut qu'une fille laide le soit moins, quand elle est riche, me paraissait plus crédible !

Quand le même Paul Edel me proposait, comme une sorte d'indépassable  littéraire, la scène du Rouge et du Noir où Julien, pensant  à Napoléon et se forçant à un geste amoureux comme l'on se rend à un duel, prend la main de Madame de Rênal, je m'en mordais la langue. N'était-ce donc pas possible de traduire ces moments uniques, ces "rencontres" où le destin bascule entre deux êtres, autrement qu'en parlant d'une seule voix, celle d'un seul locuteur

Une vague idée a commencé à germer en moi. Que se passerait-il, si l'on prenait les scènes les plus marquantes, les plus abouties, les plus indépassables, celles qui décrivent le passage à l'acte (même si cet acte n'est pas automatiquement et le plus rapidement possible une partie de jambes en l'air), celles qui font que d'un protagoniste, l'on passe à deux,  qu'un irrémédiable "après" s'installe, et qu'on les examine du point de vue féminin ?

J'ai souvent eu envie de raconter les sentiments qui m'ont agitée, à chaque fois que j'ai rencontré un des hommes qui ont traversé ma vie. J'ai souvent (toujours ?) buté sur la difficulté ineffable (sans compter les sentiments de pudeur) qui entoure la description de ces moments-là...

Je sens que ceux qui ont  persévéré jusqu'ici commencent à comprendre mon dessein. Après tout, les situations amoureuses ne sont pas si uniques . On rencontre quelqu'un que l'on admire, ou qui appartient à un monde qui vous est totalement étranger, ou qui vous attire physiquement, ou qui vous embobine sous des flatteries intéressées, etc. Toutes situations amplement et littérairement  déchiffrées depuis longtemps... Et si je m'amusais à les détourner, ces extraits de livres ? Que se passerait-il ? Verrait-on immédiatement la supercherie, les sentiments féminins seraient-iis à ce point incongrus que les textes ne "passeraient" plus, ou, au contraire, arriverai-je ainsi à rendre compte, à mon tour, de mes propres aventures sentimentales ?

 

je me suis donnée trois règles. L'emploi du "je", puisque, derrière ces détournements, c'est ma propre vérité que je cherchais, rôle que j'attribue le plus souvent à la littérature n'est-ce pas (sinon, ça ne vaut pas le coup !). La transposition systématique à mon époque, pour le même motif. Et l'utilisation de scènes "célèbres", littérairement indépassables, histoire de voir si on les démasquait. (ça, c'est mon petit démon à moi de la perversité). 

 

J'étais persuadée que ma supercherie, si c'en est une parce qu'à mon sens, ce "jeu" possède de bien troubles ramifications, ne passerait pas les yeux experts d'un Paul Edel, par exemple. C'était surtout lui que je visais, dans le premier exercice. Hélas, qu'il soit venu ici ou non ne change rien : il n'a pas bronché.

 

Mais les autres, eux, comme de bons chiens de chasse littéraires qu'ils sont , ont tout de suite flairé la piste... Et que Stoni ait été remué par la transposition de la prise de Madame de Rénal dans le Rouge et du Noir, appliquée  à ma rencontre décisive avec le pauvre Jim, et que Zoé ait trouvé "foutrement bonne" la rencontre de l'abbé Mouret et d'Albine, dont je me suis servie pour décrire l'attirance éprouvée pour Jules/Clopin, quel plaisir !

 (j'avais au début pensé à la rencontre de Jude l'obscur avec Arabella, quand elle lui lance les couilles de porc, mais j'ai repensé au "paradou" qui me semblait plus véridique. Et, ô miracle, il y a chez Zola une impeccable description de basse-cour et de rapports aux animaux, qui convenait parfaitement à l'arrière-plan beaubecuois. Bon, l'abbé Mouret est peut-être moins connu que le reste, certes. Mais cela collait si admirablement ! fin de l'incise). 

 

Quant à mon aventure avec un certain prof. de français, cela tombait sous le sens : j'ai utilisé, presque mot à mot, le récit d'Abélard lui-même ! (que j'ai trouvé, à la relecture, fort satisfait de lui-même, en fait).

 

Du coup, mille et tre détournements me tentent. Je pourrais par exemple utiliser Homère et Fitzgerald pour raconter un amour de vacances. Les héroïnes fitzgeraldiennes ont en effet ceci de commun avec Nausicaa (qui est décrit comme "sportive" par Homère..) qu'on peut parfaitement les imaginer en maillot de bain, avec une eau losangée et scintillante en arrière-plan. Si je les transpose, en évitant le côté Aldo Maccionne, je pourrais sans doute retrouver quelques unes de mes émotions passées à la piscine municipale de l'île La Croix.

 

Il me reste à tous vous demander pardon, surtout à Talweg qui a pris pour de la sécheresse ce qui n'était, après tout, qu'un jeu, et encore : pratiqué avec tout le respect possible pour Jim. Derrière les mots de Stendhal, j'ai caché ma propre émotion de ce lointain soir-là, celui de ma rencontre avec Jim,  et je voudrais qu'on la prenne pour ce qu'elle est : un hommage.

 

Mais je dois avouer aussi que cela faisait longtemps que je ne m'étais amusée ainsi. Car tentez vous même l'exercice : vous verrez qu'outre son côté passionnant, voire émouvant, il est aussi infiniment drôle. Et je n'ai jamais été une fille bien sérieuse, vous savez...

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commentaires

J
<br /> Paul vous a répondu sur son site en reproduisant votre portrait en pied, Clopine !<br />
C
<br /> <br /> "en pied, en pied", c'est vite dit : ils sont ratés. Et puis, même à 20 ans, je n'étais pas aussi belle. Enfin, je dis ça, je ne me suis jamais vue de dos, notez, et n'ai, du contour de mes<br /> fesses, que des sensations plus que des représentations. De toute manière, ce Paul Edel m'inquiète beaucoup : ne chercherait-il pas, oh, tout doucement, à se fiche un peu de moi ? Bon, d'accord,<br /> j'ai cherché, tout aussi doucement, à le piéger un peu. Mais je te vais me le représenter tout nu, tiens, histoire de ! <br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> dans la toile, Clopine, dans la toile ;<br /> <br /> <br /> je ne le vois pas comme cela et je ne me sens pas engluee ; j'ai eu envie d'interceder pour vous, puis soudainement j'en ai eu marre, c'est pas mon role.<br /> <br /> <br /> Le silence ce peut etre je n'ai rien a dire, ou encore je reprends mon souffle, je reviens plus tard car j'ai besoin d'espace (je le vis en ce moment IRL avec quelqu'une qui me bouffe) et pas<br /> forcement je suis fachee.<br /> <br /> <br /> D'un mec envers une fille (VDM) ce peut etre j'aime bien ton corps, mais toi ma poulette, je ne vais pas me farcir toi a la vie a la mort. Comme Celine dit. <br /> <br /> <br /> . Les hypotheses sont multiples. J'ai aussi envie de distance entre mes potes et bibi ces temps. Et il n'y a rien de grave ni d'irremediable,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> bien cordialement<br />
R
<br /> Parce que Paul, pudique ne s'epanche pas sur la toile en ce qui concerne sa vie privee.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne vous demande aucunement de rendre des comptes. Chacun, chez soi, regne en maitre.<br />
C
<br /> <br /> Rose, vous n'êtes pas sérieuse, là ? Je ne demandais certes pas à Paul d'épancher sur la toile sa vie privée (il a ses livres, et notamment son dernier, pour ça...) Mais juste de reconnaître, par<br /> un clin d'oeil, un des passages littéraires (Julien prenant la main de Mme de Rênal) qu'il estime être un des plus parfaits exemples d'une réussite romanesque. Je m'interroge juste sur son<br /> silence : je ne peux m'imaginer qu'il n'ait pas RECONNU ce passage. Bon, donc soit il n'a pas lu ma pochade, soit il s'en fiche, soit il me raye de son carnet d'adresses (hypothèse la plus<br /> probable). Mais faites attention à vous, Rose : Paul est un si redoutable séducteur qu'en vous lisant voler à son secours, j'ai l'impression que vous voilà (rassurez-vous, vous ne serez pas la<br /> seule, ni en si mauvaise compagnie que cela) tombée à votre tour dans la tole si joliment engluée de miel qui a pour nom Paul Edel...<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> c'est pour cela que je suis une fille, a cause de l'attrait pour la vanille.<br /> <br /> <br /> J'avais reconnu Abelard mais au risque de vous deplaire, je trouvais l'original tellement plus beau que le pastiche ; jusqu' a la scene ou elle est prieure dans un monaster et ou aprs la mort de<br /> son amant elle va a la rencontre du corps heureuse de le retrouver, heureuse par dela la mort. Pardon pour les accents, j'ai de nouveau un probleme d'ordi...je n'ai que le petitou.<br /> <br /> <br /> Non pasticher cela ne m'interresse pas, pas du tout. Moi, quand je lis un homme qui parle bien des femmes, il m'emeut grandement. Toujours je me dis ah comme il nous comprend bien, lui. Et ce lui<br /> marque l'opposition avec tous les autres,<br />
C
<br /> <br /> C'était à peine un pastiche, Rose, plutôt du pillage caractérisé. Et j'ai retiré les phrases où Abélard se décrit le plus avantageusement possible - je ne trouve pas qu'il parle très bien, dans<br /> cet extrait, d'Héloïse, c'est plutôt lui qui l'intéresse...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Ce qui m'a frappée dans cet exercice, (même si d'aucuns le trouvent "vain"), c'est que le changement de la condition féminine rend tout à fait possible, voire crédible, un renversement des<br /> situations - songez qu'à l'époque où ces textes furent écrits, il était inenvisageable sous peine d'éjection pure et simple de la société qu'une femme "prenne l'initiative", à moins que ce ne fut<br /> par des chemins de traverse indéchiffrables. <br /> <br /> <br /> Ou, pour parler plus simplement, nous avons tant de chance de ne pas être nos grand'mères. Même si elles étaient des femmes admirables (et plus sensibles, éprouvées et intelligentes que nous),<br /> elles tombaient cependant sous les lois de l'oppression. <br /> <br /> <br /> Et l'exercice littéraire est si amusant ! Je m'en vais le continuer, à travers les scènes mythiques de la rencontre d'Ulysse et de Nausicaa, de Breton et de Nadja, de Miller et Nin, de Don<br /> Quichotte et Dulcinée, etc., etc. Imaginez seulement que ce soient elles qui non seulement passent à l'acte, mais encore en fassent le récit ? <br /> <br /> <br /> Et puis c'est l'été, zut, et me voici encore une fois de plus en train de me justifier. Je crois être la personne à qui l'on demande le plus des comptes - ou de correspondre à ce que l'on<br /> voudrait qu'elle soit. Et pourtant, je ne fais pourtant de tort à personne, en suivant mes chemins, même s'ils ne mènent pas à Rome (et si vous avez reconnu Abélard, je ne comprends pas pourquoi<br /> Edel n'a pas reconnu, ni même fait un signe devant, les phrases pour lui cultissimes de Stendhal ?) <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bref ! <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Exercice amusant pour la galerie.... et vide de sens pour l'artiste.<br /> <br /> <br /> (on joue à être autre, ce qui est plus facile que d'être soi)<br />

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